Page:Collins - La Pierre de lune, 1898, tome 1.djvu/231

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

n’avait rien de moelleux, mais l’idée consolante que j’étais à même de rendre le bien pour le mal m’éleva au-dessus de ces mesquines considérations. Ce petit écrit faisait partie d’une série destinée à éclairer les jeunes femmes sur le péché de coquetterie ; le style en était d’une pieuse familiarité, et le titre était ainsi conçu : Un Mot sur vos rubans de bonnets.

« Milady vous remercie infiniment, et vous demande de venir goûter avec elle demain à deux heures. »

Je passai sur la façon dont elle remplit son message et l’effrayante hardiesse de son regard, et je remerciai cette malheureuse fille ; puis je lui dis avec un intérêt tout évangélique :

« Voulez-vous bien me faire le plaisir d’accepter cette brochure ? »

Elle regarda le titre.

« Est-elle écrite par un homme ou par une femme, miss ? Si c’est par une femme, je préfère ne pas la lire à cause de cela même ; si c’est un homme, je me ferai le plaisir de lui dire qu’il n’y connaît rien. »

Elle me rendit le traité et ouvrit la porte. Il faut pourtant semer le bon grain quelque part ; j’attendis que la porte se fût refermée sur moi, et je le glissai dans la boîte aux lettres. Lorsque j’en eus fait passer un autre à travers les barreaux de la grille d’entrée, je me sentis déchargée jusqu’à un certain point d’une lourde responsabilité vis-à-vis du prochain.

Nous avions ce soir-là une réunion du comité choisi par la Société maternelle pour la transformation des vêtements. Le but de cette excellente œuvre de charité est, comme le savent toutes les personnes sérieuses, de retirer de chez les prêteurs les pantalons des pères de famille et d’empêcher le renouvellement de l’engagement de la part d’incorrigibles parents en les raccourcissant aussitôt pour les adapter à la taille de leurs innocents enfants. Je faisais partie alors du comité choisi, et je mentionne ici la Société parce que mon précieux et excellent ami M. Godfrey Ablewhite était associé à notre œuvre d’utilité morale et matérielle.

J’avais espéré le voir à la réunion du conseil le lundi soir dont je parle, et le prévenir de l’arrivée de ma tante Ve-