Page:Collins - La Pierre de lune, 1898, tome 1.djvu/232

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rinder, mais j’eus le regret de constater son absence. Lorsque j’exprimai ma surprise à son sujet, mes chères sœurs du comité levèrent toutes la tête de dessus les pantalons (nous avions ce soir-là une grande presse d’ouvrage) et me demandèrent avec étonnement si j’ignorais les nouvelles. J’avouai mon ignorance, et j’appris alors pour la première fois un événement qui forme pour ainsi dire le point de départ de ma narration.

Le vendredi précédent, deux gentlemen qui occupaient des positions très-différentes, avaient été victimes d’un affront dont toute la ville s’entretenait. Un de ces messieurs était M. Septimus Luker, commerçant de Lambeth ; l’autre M. Godfrey Ablewhite.

Dans mon isolement actuel, je n’ai aucun journal d’où je puisse tirer le compte-rendu de cette attaque, et à l’époque où la chose se passa, il ne me fut pas donné d’entendre la bouche éloquente de M. Ablewhite en faire le récit. Je ne pourrai donc que rappeler les faits tels qu’ils me furent contés ce lundi soir, et je procéderai comme dans mon enfance, alors qu’on m’apprenait à plier mes vêtements avec ordre. Tout sera mis à sa place. Ces pages sont écrites par une pauvre et faible femme ! Qui serait en droit d’exiger davantage d’une si chétive créature ?

La date (grâce à mes bons parents, aucun almanach ne pourrait être plus exact que je ne le suis pour les dates) était celle du vendredi, 30 juin 1848.

Dans la matinée de ce jour mémorable, il advint que M. Godfrey alla encaisser une traite dans une maison de banque de Lombard-Street. Le nom de cette maison se trouve effacé dans mon journal, et mon respect sacré pour la vérité m’empêche de hasarder la moindre conjecture en pareille matière. L’important d’ailleurs est de savoir ce qui arriva à M. Godfrey pendant qu’il faisait ses affaires. Près de la porte il rencontra un gentleman qu’il ne connaissait nullement et qui sortait du bureau en même temps que lui. Une contestation polie s’éleva entre ces deux messieurs pour savoir qui passerait le premier ; l’étranger insista pour donner le pas à M. Godfrey, et celui-ci, après avoir échangé un salut avec l’inconnu, le quitta dans la rue.

Quelle absurdité, diront peut-être les gens légers et su-