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du lundi soir, c’est que sa présence était exigée ailleurs par une consultation des magistrats. Maintenant que j’ai donné ces explications, je puis commencer le récit moins romanesque de ce que j’ai observé personnellement dans la maison de Montagu-Street.

Je me rendis ponctuellement le mardi à l’heure du goûter.

En me reportant à mon journal, je vois que cette journée a été remplie d’incidents heureux et malheureux. Il y a là matière à beaucoup de pieux regrets, comme à beaucoup de dévotes actions de grâces.

Ma chère tante Verinder me reçut avec son affabilité et sa bienveillance habituelles, mais je remarquai presque immédiatement que quelque chose allait mal dans la maison. Des regards inquiets échappaient à ma tante et se dirigeaient vers sa fille.

Je ne puis jamais voir Rachel sans être surprise qu’une personne aussi insignifiante soit la fille de gens aussi distingués que sir John et lady Verinder. Cette fois, non-seulement j’éprouvai le même désappointement, mais elle me choqua.

L’absence de toute retenue, de toute réserve dans son langage et ses manières était pénible à voir. Une excitation fiévreuse rendait son rire bruyant à l’excès ; et son appétit se ressentait de cette fâcheuse disposition, au point de gaspiller tout le luncheon de la façon la plus coupable. Je plaignis profondément sa pauvre mère, même avant qu’elle m’eût avoué en confidence toutes les tristesses de sa situation.

Le goûter achevé, ma tante dit :

« Rappelez-vous, Rachel, que le docteur vous a recommandé de prendre un peu de repos après vos repas.

— Je vais aller dans la bibliothèque, maman, répondit-elle ; mais si Godfrey vient, n’oubliez pas de me le faire dire. Je meurs d’envie d’apprendre par lui les détails de son aventure. »

Elle baisa sa mère sur le front, et me jeta négligemment un « Adieu, Clack. » Son insolence n’éveilla aucun sentiment de colère chez moi ; je me bornai à en prendre note afin de prier pour elle.

Lorsqu’on nous eut laissées seules, ma tante me raconta