Page:Collins - La Pierre de lune, 1898, tome 1.djvu/239

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

toute l’affreuse histoire du diamant indien, que je suis heureuse de n’avoir pas à répéter ici. Elle ne me cacha pas qu’elle eût préféré garder le silence à ce sujet ; mais ses domestiques savaient tous la perte de la Pierre de Lune ; quelques détails avaient déjà été mis dans les journaux, enfin les étrangers se demandaient s’il n’y avait pas quelque rapport entre les événements survenus à la maison de campagne de lady Verinder et ceux qui avaient eu pour théâtre Northumberland-Street et Alfred-Place. Le silence était donc impossible, et la franchise devenait une nécessité encore plus qu’une vertu.

Plusieurs, à ce récit, eussent été confondus de surprise. Pour ma part, connaissant de longue date l’esprit rebelle de Rachel, j’étais préparée à tout ce que ma tante eût pu m’apprendre sur sa fille. Elle serait partie de là pour arriver jusqu’au meurtre, que je me serais toujours répété : « Résultat naturel, hélas ! résultat tout naturel ! » Ce qui me froissait le plus, c’était l’attitude prise par ma tante dans cette occasion. Certes, c’était le cas ou jamais de recourir à un ministre de Dieu ! et lady Verinder n’avait songé qu’à un médecin ! Toute la jeunesse de ma tante s’était passée dans la maison d’un père impie ! Encore une conséquence inévitable !

« Les médecins recommandent à Rachel beaucoup d’exercice et de distraction, et m’engagent surtout à ne pas laisser son imagination revenir sur ce pénible passé, me dit lady Verinder.

— Oh ! quel conseil de païens ! pensai-je. Donner des avis aussi impies, et cela dans une contrée chrétienne !… Hélas ! hélas ! »

Ma tante poursuivit :

« Je fais de mon mieux pour exécuter l’ordonnance ; mais cette étrange aventure de Godfrey survient on ne peut plus mal à propos. Rachel a été agitée, surexcitée depuis que nous en avons reçu la première nouvelle. Elle ne m’a laissé ni cesse ni repos jusqu’à ce que j’aie écrit à mon neveu de venir nous voir ici. Elle s’intéresse même à l’autre personne qui a été maltraitée de la même façon, M. Luker, je crois, bien que cet homme lui soit naturellement étranger.

— Votre expérience du monde, chère tante, est supérieure