Page:Collins - La Pierre de lune, 1898, tome 1.djvu/246

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cette exquise aménité qui est un de ses plus grands charmes. Une noble indignation dicta sa réplique.

« On le dit, en effet, répondit-il. Il y a même des gens qui n’hésitent point à accuser M. Luker d’avoir commis un mensonge pour servir ses intérêts privés. Il a juré mille et mille fois que, jusqu’à cette tentative de violence, il n’avait jamais même entendu parler de la Pierre de Lune. Mais ces odieux diffamateurs répondent, quoique sans donner l’ombre d’une preuve : « Il a ses raisons pour mentir, et nous ne croirions même pas à son serment. C’est honteux, honteux ! »

Pendant qu’il parlait, Rachel le regardait d’une façon étrange que je ne saurais définir. Lorsqu’il eut achevé, elle dit :

« M. Luker n’étant même pas une connaissance pour vous, Godfrey, vous prenez sa cause bien vivement ! »

Mon digne ami lui fit une des réponses les plus évangéliques qu’il m’ait jamais été donné d’entendre :

« J’espère, Rachel, que je prends vivement la cause de tous les opprimés. »

Le ton dont il fit cette réponse eût attendri un rocher ; mais, hélas ! qu’est-ce que la dureté de la pierre, comparée à la sécheresse d’un cœur que la grâce n’a pas régénéré ? Rien ! Elle ricana, oui, je rougis de le répéter, elle lui rit au nez.

« Gardez vos nobles sentiments pour vos comités de dames, mon cher Godfrey. Je suis certaine que la calomnie qui attaque M. Luker ne vous aura pas épargné. »

Ces mots tirèrent enfin ma tante de sa torpeur.

« Ma chère Rachel, fit-elle, vous n’avez aucun droit de parler ainsi.

— Je ne veux de mal à personne, maman ; j’ai même une bonne intention. Accordez-moi un moment de patience, vous le verrez. »

Elle leva sur M. Godfrey des yeux où se lisait une sorte de pitié soudaine, et poussa l’oubli de toute retenue jusqu’à lui prendre la main :

« Je suis sûre d’avoir trouvé la vraie raison de votre répugnance à parler de cette affaire devant ma mère et moi. Un hasard malheureux a réuni votre nom et celui de M. Luker ; vous m’avez appris ce que les mauvaises langues disent de lui, apprenez-moi ce qu’elles racontent de vous. »

Toujours prêt à rendre le bien pour le mal, le bon M. God-