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frey essaya jusqu’au dernier moment de lui épargner le coup.

« Ne me le demandez pas, dit-il ; il vaut mieux l’oublier, Rachel ; c’est préférable.

— Et moi, je veux l’entendre, cria-t-elle avec violence.

— Répondez-lui, Godfrey, fit ma tante ; rien ne peut lui faire plus de mal que votre silence. »

Les beaux yeux de son neveu se remplirent de larmes ; il lui jeta un dernier regard suppliant, puis prononça ces fatales paroles :

« Puisque vous le voulez absolument, Rachel, la médisance publique va jusqu’à dire que la Pierre de Lune est en gage chez M. Luker, et que c’est moi qui l’ai engagée. »

Elle sauta sur ses pieds en poussant un cri ; puis regarda alternativement M. Godfrey et sa mère avec une agitation si frénétique que je crus vraiment qu’elle était devenue folle.

« Ne me parlez pas, ne m’approchez pas, » criait-elle, tandis qu’elle s’éloignait de chacun de nous comme l’eût fait une bête pourchassée, et se réfugiait dans un coin de la pièce. « C’est ma faute ! il faut que je répare le mal. Je me suis sacrifiée, j’en avais le droit ; mais je ne puis laisser souffrir un innocent et détruire sa réputation pour la satisfaction de garder mon secret. Mon Dieu, mon Dieu, c’est trop affreux, je ne puis plus le supporter ! »

Ma tante se souleva à moitié, et retomba sur sa chaise. Elle m’appela d’une voix faible et me désigna une petite fiole qui se trouvait dans sa boîte à ouvrage.

« Vite, murmura-t-elle, six gouttes dans de l’eau ; que Rachel ne voie rien. »

En toute autre occasion, cela m’eût paru bien étrange ; mais le temps n’était pas aux réflexions ; je ne songeai qu’à lui donner cette drogue. M. Godfrey m’aida sans s’en douter à cacher ce qui se passait à Rachel, en lui parlant à l’autre bout de la pièce.

« Vraiment, en conscience, vous exagérez ! l’entendis-je lui dire ; ma réputation est trop bien assise pour être à la merci d’une misérable calomnie sans lendemain. Dans huit jours on aura cessé d’y songer ; n’en parlons donc plus. »

Tant de grandeur d’âme la laissa insensible ; sa folie ne fit que s’accroître.

« Il le faut, je veux arrêter tout cela, dit-elle. Maman !