Page:Collins - La Pierre de lune, 1898, tome 1.djvu/249

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de papier et dressa la déclaration. Elle la signa avec une ardeur fiévreuse.

« Montrez-la partout, ne songez pas à moi, je vous en supplie, disait-elle en la lui rendant. Je crains, Godfrey, de ne vous avoir pas rendu justice jusqu’à présent ; vous êtes plus généreux, plus désintéressé, enfin meilleur que je ne le croyais. Venez me voir aussi souvent que vous le pourrez, et j’agirai de mon mieux pour réparer le tort que je vous ai fait. »

Elle lui donna la main. Ô faiblesse de notre nature déchue ! non-seulement M. Godfrey s’oublia jusqu’à lui baiser la main, mais il prit en lui répondant un ton de douceur qui, dans un cas pareil, était bien un compromis avec le péché !

« Je viendrai, ma chérie, dit-il, à la seule condition que nous n’aborderons plus ce triste sujet. »

Jamais, que je sache, notre héros chrétien ne s’était montré si peu à son avantage.

En ce moment, un coup violent retentit à la porte de la rue. Je regardai par la fenêtre, et je vis arrêtés devant la maison le Diable, le Monde et la Chair, sous la forme d’une voiture, d’un valet de pied poudré et de trois femmes les plus éhontées dans leur mise que j’aie jamais rencontrées de ma vie.

Rachel tressaillit, chercha à se remettre et traversa la pièce pour se rapprocher de sa mère.

« On vient me chercher pour l’exposition d’horticulture, dit-elle ; un mot, maman, avant que je sorte ; j’espère ne pas vous avoir fait de peine ? »

Faut-il blâmer ou plaindre l’absence de sens moral qui peut amener une question pareille, après tout ce qui venait de se passer ? mes penchants miséricordieux m’inclinent vers la pitié. Les gouttes avaient réussi à rendre des couleurs à ma pauvre tante.

« Non, non, ma chère enfant, répondit-elle. Allez avec nos amies, et amusez-vous. »

Sa fille l’embrassa ; j’avais quitté la fenêtre, et je me trouvais près de la porte lorsque Rachel passa. Un autre changement avait eu lieu chez elle ; elle était en larmes. Je la regardai avec intérêt et voulus lui dire quelques mots, puisque