Page:Collins - La Pierre de lune, 1898, tome 1.djvu/250

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son endurcissement cédait enfin. Hélas ! ma sympathie reçut un triste accueil.

« Pourquoi me plaignez-vous ? me dit-elle avec amertume ! ne voyez-vous donc pas combien je suis heureuse ? je vais à une charmante exposition, Clack, et j’ai le plus joli chapeau qui existe à Londres ! »

Elle acheva cette sortie dérisoire en m’envoyant un baiser avant de nous quitter.

Je sens que les mots sont insuffisants pour faire comprendre quelle pitié m’inspirait cette pauvre créature égarée ! Mais les expressions manquent presque autant sous ma plume que l’argent dans ma bourse ! Je dirai pourtant que mon cœur saignait pour elle !

En revenant vers la chaise de ma tante, je vis notre cher M. Godfrey en train de chercher quelque chose dans tous les coins de la chambre. Avant que je pusse lui offrir mes services, il avait trouvé ce qu’il voulait. Il retourna vers nous, la déclaration écrite dans une main et une boîte d’allumettes dans l’autre :

« Chère tante, entrez dans ma petite conspiration ! Chère miss Clack, il s’agit d’une pieuse fraude que votre droiture morale elle-même approuvera. Voulez-vous laisser supposer à Rachel que j’accepte le dévouement généreux qui lui a fait signer ce papier ? Et voulez-vous bien être témoins que je le brûle ici en votre présence ? »

Il mit le feu au papier et le laissa consumer.

« Tous les inconvénients qui peuvent résulter pour moi de cet acte ne sont rien, dit-il, en regard de l’importance qu’il y a à soustraire son nom aux commentaires du public ! Là, nous n’avons plus qu’un inoffensif petit tas de cendres, et notre chère et impétueuse Rachel ne saura jamais ce que nous venons de faire ! Comment vous trouvez-vous, mes excellentes amies ? Pour ma part, je me sens joyeux comme un écolier. »

Son charmant sourire rayonnait ; il tendit les mains à ma tante et à moi. J’étais trop émue par la noblesse de sa conduite pour parler ; je fermai les yeux, et, dans une sorte d’ivresse surnaturelle qui m’enlevait au sentiment de moi-même, je portai sa main à mes lèvres ; il me gronda doucement. Ah ! quelle pure et céleste extase ! J’étais perdue dans