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mes pensées, et lorsque je rouvris les yeux et que je redescendis sur la terre, il avait disparu ; ma tante restait seule dans la pièce.

J’aimerais à m’arrêter ici et à clore ma narration avec ce récit de la belle conduite de M. Godfrey. Malheureusement il me reste encore beaucoup de choses à raconter, et mes engagements vis-à-vis de M. Blake pèsent sans relâche sur moi. Je n’étais pas au bout des pénibles révélations que je devais entendre ce mardi-là durant ma visite à Montagu-Square.

Quand je me trouvai seule avec lady Verinder, j’amenai, naturellement, la conversation sur sa santé. Je pris un détour pour lui parler du désir étrange qu’elle avait témoigné de cacher son indisposition à sa fille.

La réponse de ma tante me surprit au dernier point.

« Drusilla, dit-elle (si je ne vous ai pas encore appris mon nom de baptême, permettez-moi de vous le faire connaître ici), vous touchez, sans le savoir, à un sujet très-pénible. »

Je me levai sur-le-champ ; la délicatesse voulait qu’après avoir fait mes excuses, je prisse congé. Lady Verinder m’arrêta et insista pour me faire rasseoir.

« Vous avez surpris par hasard un secret que je n’avais confié qu’à ma sœur, Mrs Ablewhite, et à M. Bruff, l’avoué de la famille. Je puis compter sur leur discrétion, et je suis persuadée également de la vôtre quand vous connaîtrez la position. Avez-vous quelque affaire pressante, Drusilla ? Ou votre temps est-il libre cette après-midi ? »

Il est inutile de dire que je me mis à la disposition de ma tante.

« Restez en ce cas une heure avec moi, dit-elle ; j’ai quelque chose à vous dire qui, je le crois, vous affligera à entendre, et j’aurai ensuite un service à vous demander, si vous n’y avez pas d’objection. »

Il est encore superflu d’ajouter que, loin de là, j’étais tout animée du désir de me rendre utile.

« Vous pourrez attendre ici, continua-t-elle, la visite de M. Bruff qui doit venir à cinq heures, et vous nous servirez de témoin, Drusilla, pour la signature de mon testament. »

Son testament ! Je pensai à la fiole qui se trouvait dans sa boîte à ouvrage et à la teinte livide qui s’était répandue sur ses traits. Une sorte d’intuition prophétique illumina mon