Page:Collins - La Pierre de lune, 1898, tome 1.djvu/31

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Bref, Rosanna avait volé, et comme elle n’appartenait pas à cette classe d’escrocs qui montent des compagnies dans la cité pour pratiquer le vol sur une vaste échelle, la loi put l’atteindre, la mettre en prison et ensuite l’abandonner au diable, auquel elle échappa par le moyen du Refuge. Dans l’opinion de la directrice, en dépit de sa faute, cette fille était une nature exceptionnelle, et il ne lui fallait qu’une occasion pour se montrer digne de l’intérêt qu’une femme chrétienne lui témoignerait. Milady, qui était une parfaite chrétienne, dit à la directrice : « Cette occasion, je me charge de la fournir à Rosanna Spearman en l’engageant à mon service. » Une semaine plus tard, Rosanna entra dans notre maison comme seconde housemaid.

Personne ne sut un mot du passé de Rosanna, sauf miss Rachel et moi ; Milady me faisant l’honneur de me consulter sur beaucoup de points, je le fus sur celui-ci. J’avais pris de feu sir John l’habitude d’acquiescer toujours à ce que faisait Milady, aussi n’eus-je pas de peine être de son avis au sujet de Rosanna Spearman.

Jamais personne n’eut une plus belle chance de réformer sa vie passée que cette pauvre fille. Aucun des domestiques ne pouvait la lui reprocher, puisque tous l’ignoraient. Elle touchait ses gages, avait la même liberté que ses compagnes, et souvent un petit mot d’encouragement de Milady, donné en particulier. En retour, je dois dire qu’elle sut reconnaître ces bons traitements. Bien que peu forte, et sujette aux évanouissements qui impatientaient Nancy, elle accomplissait sa tâche modestement et tranquillement, sans jamais se plaindre et avec tout le soin possible.

Malgré tout cela, elle ne put se faire bien voir des autres femmes de la maison, sauf de ma fille Pénélope, qui fut toujours bonne pour elle, quoique sans intimité.

Je ne sais vraiment ce qui offensait de sa part ses compagnes.

Elle n’était certes pas belle, et ne pouvait exciter leur jalousie : outre qu’elle était la plus laide d’entre elles toutes, elle avait une épaule plus forte que l’autre. Je crois que ce qui agaçait tant nos domestiques, c’était son silence et ses goûts de solitude.