Page:Collins - La Pierre de lune, 1898, tome 1.djvu/32

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Elle lisait et travaillait dans ses heures de loisir, alors que les autres bavardaient, et quand arrivait son tour de sortie, neuf fois sur dix, elle prenait tranquillement son chapeau et allait se promener seule.

Elle ne se disputait ni ne se piquait aisément ; mais elle se tenait à distance, obstinément, bien que sans hauteur. Ajoutez-y que, quoique sa mise fût celle d’une domestique, il y avait dans sa personne un je ne sais quoi de vraiment distingué ; cela tenait-il à sa voix ou à l’expression de sa figure ? Tout ce que je puis dire, c’est que toutes les femmes tombèrent sur elle dès le premier jour (fort injustement, à mon avis) et déclarèrent que Rosanna Spearman se donnait des airs ridicules.

Maintenant que je vous ai raconté l’histoire de Rosanna, je n’ai plus qu’à signaler une des nombreuses bizarreries de cette étrange fille : j’y viendrai après avoir dit quelques mots des sables.

Notre maison est située sur la côte du Yorkshire et tout près de la mer. Les belles promenades se rencontrent dans tous les sens, sauf dans un, et ce chemin-là, j’en conviens, est abominable. Il vous mène pendant un quart de mille, à travers une chétive plantation de sapins, au bord de la plus triste petite baie de la côte, que longent des rochers bas et solitaires.

Les bancs de sable descendent vers la mer, et se terminent par deux pointes de rochers qui s’avancent vis-à-vis l’une de l’autre, jusqu’à ce que vous les perdiez de vue dans l’eau. L’un de ces rocs se nomme la Pointe du Nord et l’autre la Pointe du Sud.

Entre les deux, changeant d’arrière à avant pendant de certains temps de l’année, se trouvent les plus terribles sables mouvants des rives du Yorkshire. À la marée descendante, il se passe dans ces profondeurs inconnues quelque chose d’étrange qui fait frémir et bouillonner tout le sable mouvant d’une façon curieuse à observer, et qui a donné à ce lieu, parmi les gens du pays, le nom de Sables-Tremblants. Un grand banc, à un demi-mille de distance, près de l’ouverture de la baie, brise la force de l’Océan arrivant du large. Hiver comme été, lorsque le flux couvre les sables mouvants, la mer semble arrêter ses vagues sur le