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et voyons le sable l’attirer, puis la couvrir, et l’étouffer ! »

En voilà un bavardage malsain pour l’esprit ! et tout cela, parce que l’estomac vide excitait le cerveau !

Dans l’intérêt même de cette pauvre enfant, je m’apprêtais à lui répondre d’une façon assez rude, lorsque je fus arrêté net par une voix qui m’appelait par mon nom à travers les Sables : « Betteredge, criait-on, où êtes-vous ? — Ici, » répondis-je, sans soupçonner qui me hélait.

Rosanna sauta sur ses pieds, et se mit à regarder du côté d’où partait l’appel.

Je me disposais à me lever aussi quand je fus frappé du changement soudain qui s’était opéré sur le visage de cette fille.

Son teint devint d’un rouge vif, que je ne lui avais jamais vu auparavant ; sa physionomie s’éclaira en quelque sorte d’une surprise inouïe. « Qui est-ce donc ? » dis-je. Rosanna répéta ma question, se parlant doucement à elle même : « Oh ! qui est-ce ? »

Je me retournai et je regardai derrière moi. J’aperçus, venant à nous à travers les collines, un jeune gentleman, aux yeux brillants, vêtu d’un costume de couleur fauve, une rose à la boutonnière, et avec un sourire qui eût dû désarmer les Sables-Tremblants eux-mêmes. Avant que je pusse me mettre debout, il se jeta sur le sable près de moi, me passa les bras autour du cou, et, selon la mode étrangère, me donna une embrassade à m’étouffer.

« Mon bon vieux Betteredge ! dit-il, je vous dois sept schillings six pence. »

« Savez-vous maintenant qui je suis ? »

Le bon Dieu nous bénisse ! c’était M. Franklin Blake que nous avions sous les yeux quatre heures plus tôt qu’on ne l’attendait !

Avant que j’eusse retrouvé la parole, je vis M. Franklin, avec l’apparence de la surprise, porter ses regards de moi sur Rosanna. Je suivis ses yeux à mon tour, et la considérai. Elle rougissait de plus en plus, sans doute depuis que M. Franklin l’envisageait : puis, tout à coup, elle se retourna et nous laissa là subitement, en proie à une émotion incompréhensible sans même faire la révérence au gentleman, ni m’adresser un mot. Cette manière insolite d’agir était bien