Page:Collins - La Pierre de lune, 1898, tome 1.djvu/49

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mule, jusqu’au moment où, il y a environ six mois, la lettre contint ces mots : « Monsieur, on me dit que je suis près de mourir. Venez me voir et m’aider à faire mon testament. » M. Bruff alla le trouver dans sa petite villa de la banlieue, entourée d’un jardin, et où il avait vécu seul depuis son retour des Indes. Il avait des chiens, des chats, des oiseaux autour de lui, mais aucun être humain, sauf la femme qui venait chaque jour faire l’ouvrage de la maison ; en ce moment, le docteur se tenait près de son chevet. Son testament fut fort simple. Le colonel avait dissipé la plus grande partie de sa fortune en expériences chimiques ; ses dernières volontés se réduisirent à trois clauses, qu’il dicta de son lit, dans la plénitude de ses facultés. La première pourvoyait l’entretien de ses divers animaux. La seconde fondait une chaire de chimie expérimentale dans une université du Nord. Enfin la troisième léguait la Pierre de Lune à sa nièce, comme cadeau de jour de naissance, à la condition que mon père serait exécuteur testamentaire. Mon père commença par refuser. Après réflexion, il résolut d’accepter, d’abord parce qu’on lui affirma qu’il n’en subirait aucun ennui ; ensuite parce que M. Bruff lui fit comprendre, qu’au point de vue de l’intérêt de Rachel, ce diamant pouvait après tout avoir une valeur.

— Le colonel donna-t-il une raison, monsieur, pour laisser le diamant à miss Rachel ? demandai-je.

— Non-seulement il donna une raison, mais le motif fut inscrit dans son testament, dit M. Franklin. J’en possède un extrait que vous verrez tout à l’heure. Un peu de méthode, Betteredge ! chaque chose en son temps. Maintenant que vous connaissez le testament, il faut que vous sachiez comment les choses se passèrent après la mort du colonel. Il devint nécessaire de faire légaliser le testament, mais auparavant on dut procéder à l’estimation du diamant. Tous les joailliers que l’on consulta confirmèrent l’assertion du colonel, et dirent qu’il possédait un des plus gros diamants connus. L’estimation exacte présenta plusieurs difficultés sérieuses. Par sa taille, il pouvait passer pour un phénomène, mais sa couleur le plaçait dans une catégorie particulière ; et comme pour ajouter à tant de causes d’incertitude, un défaut, une paille, se trouvait au cœur même de la pierre.