Page:Collins - La Pierre de lune, 1898, tome 1.djvu/55

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ment, à ce qu’il me sembla, et l’autre influence arrivait maintenant à son tour.

Une de mes règles favorites est de ne jamais m’arrêter à ce que je ne comprends pas. Je pris donc un juste milieu entre l’objectif et le subjectif dont on me parlait ; à vrai dire, j’ouvris mes yeux démesurément et ne dis mot.

« Extrayons de la chose sa signification intérieure, insista M. Franklin ; pourquoi mon oncle laissa-t-il le diamant à Rachel ? pourquoi ne le légua-t-il pas à ma tante ?

— Ceci, monsieur, répondis-je, n’est pas au-dessus de ma pénétration : le colonel Herncastle connaissait assez milady pour savoir qu’elle aurait refusé tout legs venant de lui.

— Comment était-il assuré que Rachel ne le refuserait pas également ?

— Vit-on jamais une jeune dame, monsieur, capable de résister à la tentation d’accepter un présent semblable à celui du diamant de la Lune !

— Le point de vue rentre dans le subjectif, dit M. Franklin. Il vous fait honneur, Betteredge, et dénote beaucoup d’intelligence de votre part. Mais il plane sur le legs du colonel un autre mystère qui n’est pas encore éclairci. Comment expliquerons-nous que ce don ne doive être remis à Rachel que du vivant de sa mère ?

— Je ne voudrais pas calomnier un homme défunt, monsieur ; mais s’il a tant tenu à l’existence de sa sœur dans cette occasion, ne serait-ce pas dans l’espoir que ce devienne une source de trouble et de chagrin pour elle par l’entremise de sa fille, et qu’étant encore en vie elle puisse ressentir toutes ces peines ?

— Oh ! oh ! c’est donc là votre interprétation ? Vous voici derechef dans le mode subjectif ! Avez-vous jamais été en Allemagne, Betteredge ?

— Non, monsieur ; mais quelle serait votre interprétation, s’il vous plaît ?

— J’admets, dit M. Franklin, que le but du colonel a pu être, non pas d’avantager sa nièce qu’il n’avait jamais vue, mais de prouver à sa sœur, de la façon la plus gracieuse, qu’il lui avait pardonné, en faisant un magnifique présent à son enfant. Voilà une interprétation toute différente de la