Page:Collins - La Pierre de lune, 1898, tome 1.djvu/57

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

M. Franklin était étendu dans une position à ne voir que le ciel, et ne parut pas se soucier de ma question.

« Je ne me soucie pas d’alarmer ma tante sans raison, dit-il ; et je ne veux point non plus la quitter sans la prévenir de ce qu’il peut lui être utile d’apprendre. Voyons, Betteredge, si vous étiez à ma place, en deux mots, que feriez-vous ? »

Je lui dis sans hésiter :

« J’attendrais.

— De tout mon cœur, répondit M. Franklin, mais pendant combien de temps ? »

Je me mis à expliquer mon opinion.

« Autant que je puis le comprendre, monsieur, il est indispensable que quelqu’un remette ce maudit diamant entre les mains de miss Rachel, à l’occasion de son prochain jour de naissance, et, en ce cas, autant vaut que ce soit vous qui vous en chargiez qu’un autre. Nous voici au 25 de mai, et l’anniversaire tombe le 21 juin ; il reste donc près de quatre semaines devant nous. Attendons, et voyons ce qui surviendra pendant ce laps de temps ; alors nous préviendrons milady ou non, suivant les circonstances.

— Admirable, Betteredge, dit M. Franklin, la position est ainsi sauvegardée ; mais, d’ici là, que ferai-je de la Pierre de Lune ?

— Vous agirez comme votre père le fit ! repartis-je ; votre père l’avait mise en sûreté dans une maison de banque à Londres ; vous la logerez dans le coffre-fort de la banque de Frizinghall. (Frizinghall est la ville la plus voisine de chez nous, et la banque d’Angleterre elle-même n’est pas plus sûre que celle de ce lieu.) Si j’étais de vous, monsieur, ajoutai-je, je monterais à cheval et je me dirigerais incontinent sur Frizinghall avant le retour de ces dames. »

La perspective de faire quelque chose, et de le faire à cheval, remit M. Franklin sur ses pieds avec la rapidité de l’éclair ; bien plus, il me releva sans la moindre cérémonie.

« Vous valez votre pesant d’or, Betteredge ! Allons vite, et faisons seller le meilleur cheval des écuries. »

Il me rappelait le bon vieux temps !

Dieu soit loué ! voici bien le vrai fond anglais, perçant malgré la couche de vernis des civilisations étrangères ! je retrouvais le petit Franklin d’autrefois, transporté d’aise à la