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Le dix-huitième anniversaire de miss Rachel devait tomber au 21 de juin prochain. Si par hasard vous aimez les femmes brunes (lesquelles ont cessé depuis peu, m’a-t-on dit, d’être en faveur dans le monde élégant) et que vous ne teniez pas absolument à la taille, je vous réponds de miss Rachel comme d’une des plus jolies personnes que vous eussiez pu voir. Elle était mince et petite, mais parfaitement proportionnée des pieds à la tête. En la voyant s’asseoir, se lever, surtout en la voyant marcher, tout homme de sens aurait été convaincu qu’elle devait le charme de son extérieur à la nature et non à ses vêtements.

Ses yeux et ses cheveux rivalisaient du plus beau noir ; son nez paraissait trop petit, j’en conviens, mais (pour emprunter les paroles de M. Franklin) la bouche et le menton étaient des morceaux de dieux ; toujours selon la même autorité, son teint chaud comme un rayon de soleil avait sur celui-ci l’avantage de ne pas brûler ceux qui le regardaient. Ajoutez-y qu’elle portait la tête haute et d’un air vraiment distingué, qu’elle possédait une voix claire, d’un timbre métallique, et un sourire qui commençait dans les yeux pour arriver aux lèvres ; vous aurez dès lors un portrait complet et aussi frappant que j’ai pu le décrire.

Maintenant, que dirai-je du caractère ? Cette charmante créature avait-elle des défauts ? Mon Dieu, oui ! elle en avait juste autant que vous, madame, ni plus ni moins.

Pour parler sérieusement, ma chère miss Rachel avait, au milieu de tant d’attraits et de qualités, un défaut capital, que la stricte impartialité m’oblige à reconnaître. Elle différait des autres filles de son âge, et en un point surtout, c’est qu’elle avait des idées à elle et toutes faites, et que si ses opinions allaient à l’encontre des usages reçus, elle se moquait des usages ! Pour des bagatelles, ce travers importait peu ; mais dans les circonstances graves, milady trouvait, comme moi, que cet esprit de défi allait bien trop loin.

Elle jugeait par elle-même, chose bien rare chez des femmes deux fois plus âgées qu’elle ; jamais elle ne demandait votre avis et ne vous prévenait de ce qu’elle allait décider. Elle ne mettait personne, pas même sa mère, dans la confidence de ses secrets. Dans les moindres choses comme dans les plus grandes, avec ceux qu’elle aimait comme avec ceux