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L’autre invité placé à la droite de miss Rachel était le célèbre voyageur dans l’Inde, M. Murthwaite, qui avait au péril de ses jours, et sous un déguisement, pénétré là où aucun autre Européen n’avait encore osé mettre les pieds.

Il était long, maigre, basané et silencieux. L’expression fatiguée de sa physionomie, un regard attentif et fixe le distinguaient tout d’abord. Le bruit courait qu’il était déjà las de la vie méthodique et uniforme de nos contrées, et qu’il songeait à reprendre ses dangereuses pérégrinations vers l’Orient. À l’exception de ce qu’il dit à miss Rachel sur son diamant, je doute qu’il ait prononcé six paroles ou qu’on lui ait vu boire un verre de vin pendant toute la durée du dîner. La Pierre de Lune eut seule le don de réveiller son intérêt. Sa renommée était venue jusqu’à lui lors d’un de ses séjours dans la patrie de ce diamant. Après avoir considéré le joyau si longuement que miss Rachel commençait à se sentir embarrassée, il lui dit de son ton froid et impassible : « Si jamais vous alliez dans l’Inde, miss Verinder, je ne vous engage pas à y montrer le présent de votre oncle ; un diamant chez les Hindous fait souvent partie intégrante de leur religion. Il est telle cité sacrée de ma connaissance, et dans cette cité tel temple où, si vous vous présentiez avec l’ornement que vous portez là, votre existence ne serait pas assurée pendant cinq minutes. » Miss Rachel, se sachant en sûreté en Europe, fut charmée d’entendre parler des dangers qu’elle pourrait courir dans l’Inde. Les deux sauteuses l’étaient encore plus ; elles laissèrent tomber avec fracas leurs fourchettes et leurs couteaux, et s’exclamèrent : « Oh ! combien c’est intéressant ! » Milady s’agitait sur sa chaise et changea le sujet de la conversation.

À mesure que le dîner s’avançait, je sentis qu’il n’aurait pas le même succès que celui des réunions précédentes.

En pensant depuis à cette soirée, je suis tenté de croire que le maudit diamant avait jeté un sort sur toute la compagnie. Je ne laissais jamais les convives manquer de vin, et comme je pouvais tout me permettre, lorsque je remarquais qu’un mets était peu goûté, j’adressais, en guise d’encouragement, à la personne près de laquelle je me trouvais, quelques petits mots tels que : « Prenez-en, le plat est vraiment fort bon ; » ou encore : « Essayez, je suis sûr que