Page:Collins - La Pierre de lune, 1898, tome 2.djvu/33

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tait une de ces salutaires humiliations qu’il fallait voir, selon moi, dans les déplorables fautes de M. Godfrey, dont j’avais été l’invisible témoin. D’autre part, l’horreur que témoignait maintenant notre ami à l’idée d’épouser Rachel, l’empressement aimable avec lequel il revenait à ses comités et à ses pauvres, indiquaient clairement que sa nature supérieure avait repris le dessus.

Je lui soumis mes vues en quelques mots simples et empreints d’une affection fraternelle ; sa joie fut admirable à contempler.

Il se comparait, en m’écoutant, à un homme égaré dans l’obscurité, et qui revenait à la lumière. Lorsque je répondis de l’accueil attendri qu’il recevrait au comité de la Société des petits vêtements, son cœur reconnaissant déborda. Il pressait chacune de mes mains tour à tour contre ses lèvres ; pour moi, ce triomphe d’avoir ramené à nous le héros chrétien était plus que je ne pouvais supporter. Vaincue par l’excès de mon bonheur, je le laissai disposer de mes mains, et je fermai les yeux. Je sentis ma tête, dans une extase d’oubli spirituel, s’affaisser sur son épaule ; un peu plus et j’allais m’évanouir dans ses bras, si une interruption venue du monde extérieur ne m’avait rappelée à moi-même.

Un affreux tapage d’assiettes et de couverts se fit entendre du dehors, et le valet de pied entra préparer le luncheon.

M. Godfrey se leva et regarda la pendule.

« Seigneur, comme le temps s’envole avec vous ! dit-il ; je pourrai à peine arriver pour le train. »

Je me permis de lui demander pourquoi il était si pressé de rentrer à Londres ; sa réponse me rappela les difficultés de famille qui lui restaient à affronter.

« J’ai eu des nouvelles de mon père, me dit-il : ses affaires l’obligent à quitter Frizinghall pour Londres aujourd’hui, et il compte être ici ce soir ou demain ; il faut que je l’instruise de ce qui s’est passé entre Rachel et moi, car il tenait à ce mariage, et je crains qu’il ne soit fort difficile de lui faire entendre raison au sujet de notre rupture ; il est donc essentiel, dans notre intérêt commun, que je l’empêche de venir ici avant qu’il ait pris son parti de ce déboire. Chère et fidèle amie, nous nous reverrons ! »

Là-dessus, il sortit précipitamment. Tout aussi émue moi-