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n’avais eu des motifs plus élevés de réveiller chez elle les dons spirituels, celui d’arriver à débarrasser son cœur de ses coupables secrets eût été suffisant pour m’encourager à persévérer.

La tante Ablewhite prenait de l’exercice dans une chaise de malade, et Rachel l’accompagnait.

« Je voudrais pouvoir traîner cette chaise, s’écria-t-elle, et me fatiguer jusqu’à en tomber. »

Elle fut de la même humeur pendant la soirée. Je découvris, dans un des précieux opuscules de mon amie (la Vie, les Lettres et les Travaux de miss Jane Ann Stamper, 44e édition), des passages singulièrement appropriés à l’état actuel de Rachel ; je proposai de les lui lire, mais elle se dirigea vers son piano. Se figure-t-on qu’elle connaissait assez peu les personnes sérieuses pour supposer que ma patience pût être si vite épuisée ! Je m’assis, gardant miss J. A. Stamper près de moi, et attendant les événements avec une inaltérable confiance dans l’avenir.

M. Ablewhite père ne parut pas ce soir-là ; mais je connaissais trop l’importance que son avidité temporelle devait attacher au mariage de son fils, et j’étais convaincue que tous les efforts de M. Godfrey ne l’empêcheraient pas de nous arriver dès le lendemain. Son intervention amènerait infailliblement la scène violente que je prévoyais et dans laquelle Rachel dépenserait toutes ses facultés de résistance. Je n’ignore pas que le vieux M. Ablewhite passe généralement (surtout parmi ses inférieurs) pour un homme d’un caractère très-facile. D’après ce que j’ai observé, il ne justifie sa réputation qu’autant que sa volonté ne rencontre aucun obstacle.

Le lendemain, comme je m’y attendais, ma tante fut aussi étonnée qu’elle était capable de l’être, en voyant arriver subitement son mari.

À peine venait-il d’entrer dans la maison que je fus surprise à mon tour de le voir suivi de M. Bruff : ce qui compliquait la situation.

Je n’avais jamais trouvé la présence de l’avoué plus inopportune qu’en ce moment ; il semblait préparé à tout, même à maintenir la paix, et cela avec Rachel au nombre des combattants !