Page:Compte rendu des séances de l’Assemblée nationale législative, tome 2 (21 juillet-10 octobre 1849).djvu/640

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du conseil des ministres, le gouverneur de la colonie, et le commandant militaire, sont autorisés à déclarer l'état de siège, qui a toujours besoin, pour être maintenu, de la sanction de l'Assemblée nationale.
Réglés par le chapitre III [du projet], les effets de l'état de siège sont de concentrer tous les pouvoirs dans les mains de l'autorité militaire, et d'attribuer aux conseils de guerre la connaissance de certains crimes et délits spéciaux énumérés dans l'article 8 du projet. Le pouvoir est armé, en outre, de moyens préventifs dont l'énergie n'a pas besoin d'être justifiée, et qui, pour la compression de l'émeute, ne seront pas moins efficaces que la force des armes.
Enfin, dans le chapitre IV [du projet], se trouvent réglementés la forme et les effets de la levée de l'état de siège, toujours si désirable, puisqu'elle est le signe certain du retour de la paix publique.
Tel est l'ensemble de la loi. Elle ne contient aucune innovation aux principes et aux règles constamment appliqués.
L'examen des détails mettra cette vérité plus complètement en lumière.
D'après l'article premier, les seuls cas dans lesquels peut être déclaré l'état de siège sont, comme on l'a vu, le cas de guerre et celui d'insurrection. Le premier, réglementé et prévu déjà par la législation existante, n'avait pas besoin d'une définition rigoureuse pour être bien compris. Le second laissait subsister, au contraire, une incertitude fâcheuse sur l'esprit et la véritable portée de la loi. Le mot insurrection, dont le rédacteur s'est servi, n'est pas encore entré dans la langue législative, et son sens équivoque aurait pu devenir la source de sérieuses difficultés. Par insurrection, fallait-il entendre ces mouvements tumultueux qui, dans les grandes villes, se produisent quelquefois à l'occasion d'une machine nouvelle, ou de la fixation du salaire des ouvriers, si, d'ailleurs, ces mouvements ne changent pas de nature et ne dépassent point les limites d'une protestation agitée ?
Non, sans doute.
Quelques regrettables que soient les désordres de ce genre, il est manifeste que l'état de siège, appliqué à une situation semblable, serait une chose mauvaise et qui ne trouverait point sa justification dans la grandeur des périls que la société aurait courus.
Ne faudrait-il, au contraire, reconnaître le caractère insurrectionnel qu'à un mouvement à main armée se manifestant par une agression sanglante ? Celle interprétation serait plus désastreuse encore.
Si, pour déclarer l'état de siège, nous étions condamnés à attendre qu'une lutte homicide eût ensanglanté nos rues et que la guerre civile eût levé ses hideux étendards, nous maudirions tous l'imprévoyance de la loi qui, en enchaînant nos volontés, nous imposerait le devoir, avant d'agir, d'assister impuissants à la réalisation des plus désolantes calamités publiques.
Au nom de l'humanité et du pouvoir souverain que vous avec reçu du pays, vous briseriez cette loi de malheur si elle avait pris place dans nos codes, et la France entière applaudirait à votre patriotique décision.
Qui donc pourrait méconnaître que, lorsque ces crises désastreuses sont au moment d'éclater, il est plus constant et plus sage de les prévenir par la promptitude et l'énergie des résolutions, que d'avoir à les réprimer par la force des armes ?
Les souvenirs du 13 juin dernier en sont à la fois et l'exemple et la preuve.
Aussi votre commission a substitué aux expressions du projet les mots de péril imminent pour la sûreté intérieure et extérieure. Le cas de guerre, au moyen de cette disposition, n'a plus besoin d'une indication spéciale, il rentre manifestement dans les prévisions générales de l'article. Pour être reconnu, ce péril imminent réclamé par la rédaction nouvelle n'exige ni une lutte violente et déclarée, ni l'effusion du sang dans les rues de nos villes. Dès qu'il se produit avec ce caractère de gravité qui jette de solennelles alarmes dans les cœurs les plus droits et les plus fermes ; dès que des signes extérieurs non équivoques annoncent les préparatifs du combat, le droit est ouvert de décréter cette salutaire mesure qui épargnera au pays le retour de ces journées de deuil où nous avons vu périr, victimes de leur dévouement, ses plus intrépides défenseurs.
La liberté, du reste, n'a rien à craindre de la consécration de ce droit important. C'est à l'Assemblée nationale seule qu'est attribué le pouvoir de décréter ou de sanctionner l'état de siège, et dans cette attribution exclusive se rencontre une garantie pleinement satisfaisante pour les esprits les plus défiants. C'est dans la vérité des choses, pour l'Assemblée [nationale] elle-même, que nous réclamons cette faculté précieuse qui lui laisse dans toute sa plénitude l'appréciation des conjonctures où le salut de la patrie doit devenir la loi suprême.
Puisée dans l'article 2 [du projet], cette considération décisive nous conduit à l'examen des formes de la déclaration de l'état de siège.
Le projet du Gouvernement établit entre les pouvoirs de l'Assemblée et ceux du président de la République une distinction marquée, qui leur assigne respectivement des pouvoirs spéciaux dont la limite ne peut être franchie par aucun d'eux. À la première est conféré le droit exclusif de déclarer l'état de siège ; au second, le droit exclusif aussi d'en faire la proposition. Votre commission a pensé qu'il était convenable de maintenir, pour cette occasion même, dans toute sa pureté, le principe de l'initiative parlementaire.
Sans aucun doute, en règle générale, ce sera le Gouvernement qui viendra réclamer de vous cette arme redoutable que de factieuses agressions ou de graves périls vous feront un devoir de placer dans ces mains. C'est lui d'ailleurs qui doit se servir des pouvoirs exceptionnels que l'état de siège a pour effet légal de lui conférer. Et, si à ses yeux la mesure n'était pas nécessaire, il laisserait inexécuté le décret qui la proclame, en n'usant pas des pouvoirs facultatifs qui en sont la conséquence.
C'est sous l'inspiration de ces motifs qu'avait été rédigé l'article.
Mais légitimaient-ils suffisamment une dérogation au droit d'initiative que chacun de nous lient de la Constitution elle-même ? Ne peut-il pas se présenter d'ailleurs des circonstances où une énergique impulsion donnée par l'Assemblée [nationale] deviendra indispensable pour triompher des hésitations qui bien souvent préparent et expliquent les grandes catastrophes sociales ? Enfin, dans un pays où de vieilles habitudes d'opposition contre le pouvoir ont laissé des souvenirs de défiance dont le temps ne parviendra qu'avec lenteur à effacer les vestiges, il peut se faire que cette grande mesure emprunte à l'initiative d'un membre de l'Assemblée [nationale] une force et une autorité morale que ne lui donnerait pas une proposition faite au nom du pouvoir exécutif.
Cet article du projet a dû donc être modifié sous ce premier point de vue. Sur ce même article, une seconde modification est soumise à votre examen.
Le paragraphe 2 exige que le décret déclaratif de l'état de siège désigne les communes, arrondissements et départements auxquels il s'applique, et ne prévoit pas une situation qui récemment s'est produite devant vous. Il peut arriver qu'un vaste complot étende ses ramifications sur la surface entière du pays, et que les mouvements factieux qui éclatent dans une cité deviennent le signal de mouvements semblables dans des localités éloignées ou voisines.
Dans de telles circonstances, faudra-t-il qu'à mesure que le télégraphe révélera ces désolantes prises d'armes, le pouvoir exécutif vienne vous demander un décret spécial et nouveau, dont la délibération et le vote entraîneraient les plus fatales lenteurs ? Vous ne l'avez pas voulu au 13 juin, où,