Page:Compte rendu des séances de l’Assemblée nationale législative, tome 2 (21 juillet-10 octobre 1849).djvu/641

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par un texte positif, vous avez autorisé le Gouvernement à étendre l'état de siège à toutes les villes où éclaterait l'insurrection. Ce que vous avez fait alors, il est bon, il est utile que vous conserviez le droit de le faire encore selon la gravité des événements dont vous restez les seuls et souverains appréciateurs.
L'Assemblée nationale est permanente. Elle a reçu toutefois de la Constitution [du 4 novembre 1848] la faculté de se proroger, mais en laissant à une commission de vingt-cinq membres le soin de veiller à la garde des libertés du pays. Durant cette prorogation, un danger soudain et imprévu pour la chose et la sûreté publiques peut se manifester. Le pouvoir exécutif ne devait pas, sans la plus funeste des imprévoyances, demeurer désarmé en présence d'une agression dont l'audace aurait puisé dans la faiblesse même de ce pouvoir une force et une énergie nouvelles. Le projet a sagement pourvu à celle éventualité, en conférant au président de la République le droit de décréter l'état de siège, de l'avis du conseil des ministres. Une double condition lui est seulement imposée, c'est d'en informer immédiatement la commission des vingt-cinq, et, selon la gravité des circonstances, de convoquer l'Assemblée nationale. Nous avons fait subir à la rédaction de l'article un léger changement, dont le but est de charger le Gouvernement d'informer, dans tous les cas, la commission des vingt-cinq membres de cette grave mesure.
Dès que l'Assemblée [nationale] est réunie par suite de la convocation du président [de la République] ou de celle de la commission, son premier devoir et son premier acte est de statuer sur la levée ou le maintien de l'état de siège déclaré en son absence.
Il est un cas où la convocation devient inutile. Elle est le résultat nécessaire et légal de la mesure elle-même. C'est lorsque l'état de siège s'applique à la capitale. Il est inutile de développer les motifs de cette disposition importante, dont la sagesse obtiendra un assentiment unanime.
Le projet s'occupe ensuite de la déclaration de l'état de siège dans les colonies et dans les places de guerre.
À l'égard des premières, la longueur des distances ne permettait point d'exiger un décret préalable de l'Assemblée nationale. Pour être efficace, cette mesure doit être prompte, et ne pas laisser au mal le temps de grandir, et de rendre ainsi la catastrophe inévitable. Le gouverneur sera donc investi d'un pouvoir exceptionnel qu'il serait impossible de lui refuser. Les calamités qui désolent nos Antilles, les guerres de castes qui les couvrent de sang et de ruines, sont une justification bien éloquente de cette disposition spéciale.
Les places de guerre, à leur tour, devaient rester soumises au régime qui leur a été constamment appliqué. Les lois [du 10 juillet] 1791 [concernant la conservation et le classement des places de guerre et postes militaires, la police des fortifications et autres objets y relatifs] et de l'an 5, le décret du 24 décembre 1811 [relatif à l'organisation et au service des états-majors de places] auquel il n'a été rien innové, conserveront toute leur autorité légale. Comme par le passé, la déclaration du commandant militaire suffira pour décréter valablement l'état de siège. Mais, dans ces deux hypothèses encore, si le président de la République croit devoir maintenir la mesure, la sanction de l'Assemblée nationale devient d'une nécessité impérieuse. À elle seule appartient le pouvoir de suspendre les libertés publiques, et il est tenu de lui en faire sans délai la proposition.
Ainsi, tous les droits se trouvent sauvegardés. Placés sous la protection vigilante des représentants du peuple, ils ne seront temporairement frappés qu'avec leur assentiment et lorsque de douloureuses nécessités sociales en imposeront le devoir.
Les effets de l'état de siège, précisés avec soin dans le chapitre III, constituent l'une des parties les plus essentielles du projet soumis à vos délibérations. Vous n'y rencontrerez néanmoins aucune pensée nouvelle, aucun principe dont l'application n'ait été déjà faite. Il emprunte aux rudes épreuves que nous avons traversées et aux faits accomplis, les règles que l'on vous demande d'ériger en loi positive.
L'une de ses premières conséquences, c'est de transporter à l'autorité militaire tous les pouvoirs dont l'autorité civile était investie pour le maintien de l'ordre et de la police.
Un grand péril menace la chose publique. La société est assiégée par les factions qui ont conspiré sa ruine. Les violences de l'attaque, la nécessité de la défense, lui commandent de concentrer toutes ses forces et de les réunir dans une seule main. À cette condition, elle pourra dompter l'anarchie, et décourager, par une salutaire rigueur, ceux qui seraient tentés d'arborer son drapeau. Le pays ne fait alors que se défendre, et ce droit sacré doit être affranchi des entraves qui en gêneraient ou paralyseraient l'exercice. Aussi, cette concentration des pouvoirs, ce dessaisissement de l'autorité civile deviennent un besoin trop impérieux, pour ne pas avoir obtenu l'adhésion unanime de votre commission.
L'attribution faite aux tribunaux militaires de la connaissance des crimes et délits contre la sûreté de la République, contre la Constitution, contre l'ordre et la paix publique, sans égard à la qualité des auteurs principaux ou complices, ne pouvait à son tour rencontrer des contradicteurs. C'est une conséquence exacte et logique de l'état de siège qui, sous un nombre considérable de rapports, assimile à une place assiégée les localités soumises par l'Assemblée nationale à ce régime exceptionnel. C'est ainsi que depuis soixante ans ont été toujours appliqués et compris les principes régulateurs de cette importante matière. Il est d'un haut intérêt social, en effet, que les crimes et les délits rentrant dans la catégorie de ceux prévus par notre article soient suivis d'une répression vigoureuse, et dont la promptitude ne laisse pas naître l'espoir de l'impunité. Le crime reçoit des terribles événements au milieu desquels il se produit un caractère de gravité qui appelle sur la tête de son auteur toutes les sévérités de la loi. Il importe à la fois de frapper les coupables, et de jeter le découragement dans l'âme de ceux disposes à le devenir. Une répression trop incertaine ou trop lente, et qui ne serait pas proportionnée à la grandeur des dangers du pays, pourrait exciter à de douloureuses représailles, et ajouter aux horreurs de la guerre civile.
Ces considérations vous font pressentir, messieurs, que votre commission n'a pu donner son assentiment au paragraphe second de l'article 8 du projet, créant pour les délits de la presse le privilège du jury, dans le cas où les auteurs ne seraient point complices de délits ou de crimes déférés à la juridiction militaire.
Nous nous sommes demandé quelle pouvait avoir été la cause de cette exception qui contraste d'une façon étrange avec la généralité du principe posé par le paragraphe précédent. Si tous les délits, tous les crimes contre la Constitution, l'ordre et la paix publique sont justiciables des conseils de guerre, pourquoi un seul d'entre eux, réunissant d'ailleurs tous ces caractères, sera-t-il soustrait à cette règle commune, et jouira-t-il, au milieu des émotions peut être sanglantes de l'état de siège, de la faveur de la cour d'assises, et des solennités de la justice ordinaire ?
Par quel motif la loi semble-t-elle craindre de le soumettre à son inflexible niveau ?
Est-ce qu'il serait moins inquiétant pour la sûreté générale ? Et qu'une société, contrainte d'exposer les jours de ses plus généreux défenseurs, n'aurait pas à en redouter les suites ?
Bien au contraire ! C'est le délit qui doit exciter les sollicitudes les plus vives, et provoquer les plus sérieuses alarmes. C'est la presse qui, armée de sa formidable puissance, et avec ses milles moyens de reproduction, va réchauffer dans les cœurs les ressentiments prêts à s'éteindre; c'est elle qui va faire aux passions les plus désordonnées un appel nouveau, afin de pousser à une lutte nouvelle ; c'est elle enfin qui exhorte à ressaisir les armes dirigées contre les défenseurs de la société et du pays.
Ses détestables provocations seront dédaignées, je le veux, et virtuellement le projet le suppose ! Mais n'est-ce donc rien