Page:Compte rendu des séances de l’Assemblée nationale législative, tome 2 (21 juillet-10 octobre 1849).djvu/642

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que cette odieuse tentative, malgré son impuissance ? N'importe-t-il pas de la prévenir par la crainte d'un châtiment aussi prompt qu'assuré ? Et quand on se trouve en face d'un immense péril, est-il juste et sage de dire au provocateur que si sa voix n'est pas entendue, il ne devra rendre compte de sa conduite qu'à la justice ordinaire ? Dans cette promesse imprudente, ne puisera-t-il pas une audace qui peut entraîner d'irréparables malheurs ?
Dirait-on que la juridiction du jury appartient à la presse, et qu'on ne peut la lui ravir sans violer l'une de ses plus précieuses prérogatives ?
Mais ce même privilège est donné par nos lois à tout citoyen accusé d'un crime de nature à entraîner des peines afflictives et infamantes. Lorsque l'honneur ou la vie d'un homme se trouve engagée dans un débat judiciaire, c'est au jury seul qu'il appartient dans les formes spéciales et solennelles de prononcer sur son sort.
Et néanmoins, si le crime qui lui est imputé rentre dans l'une des catégories énumérées déjà, l'effet de l'état de siège est de lui ravir toutes les garanties judiciaires, et, traduit devant un conseil de guerre, il pourra être condamné aux peines les plus graves de notre droit pénal.
Eh bien, quant à celui-là, détourné aussi de ses juges naturels, sur le front de qui va se graver une condamnation infamante, on ne fait entendre ni réclamations ni plaintes. D'un avis unanime, les garanties que la Constitution lui donnait fléchissent devant la gravité des intérêts sociaux qui en commandent le sacrifice. Or, les droits de la presse sont-ils donc plus sacrés ou plus respectables que les siens, pour qu'à sa faveur on introduise une exception ou un privilège ?
La majorité de votre commission ne saurait l'admettre, et, pour ce motif, elle repousse la distinction énoncée dans le second paragraphe de l'article.
Condamné par les principes, ce privilège rencontrerait, en outre, dans l'exécution, des obstacles impossibles à surmonter.
Dans une place de guerre investie, où le droit serait incontestablement le même, comment réunir le jury du département dont la ville assiégée n'est peut-être pas le chef-lieu ? L'auteur du délit pourrait donc, dans ce cas, défier la justice de l'atteindre, et renouveler incessamment ses excitations incendiaires ?
Dans une ville de l'intérieur où a éclaté la sédition, cause déterminante de la mesure, les difficultés ne seraient pas moins sérieuses. Dans cette seconde hypothèse, comprendriez-vous bien la possibilité de réunir et faire délibérer le jury au sein des émotions que laissent dans les cœurs les souvenirs du combat de la veille ?
Il y aurait à procéder ainsi une haute imprudence. Comme le veut la loi d'égalité, dont aucune raison légitime n'exige que l'on s'écarte, maintenons, pour tous les délits et pour tous les crimes énumérés dans le premier paragraphe de l'article 8, la juridiction qui, sous l'état de siège, constitue le droit commun des délinquants.
Le texte suivant contient la nomenclature des pouvoirs exceptionnels conférés à l'autorité militaire.
Ce sont les perquisitions de nuit et de jour dans le domicile des citoyens ; c'est l'expulsion des repris de justice, et de ces individus non domiciliés qui, à jour fixe, se trouvent avec une affligeante exactitude dans les lieux où doit éclater une émeute ; c'est la remise imposée à tout citoyen de ses munitions et de ses armes, et le droit de procéder à leur recherche et à leur enlèvement ; c'est enfin la faculté d'interdire les publications et les réunions de nature à exciter ou à entretenir le désordre.
Ces effets de l'état de siège sont ceux qui ont été appliqués en juin 1848 et en juin 1849. Votre commission les accepte sans aucune modification.
Indépendamment de ces droits spéciaux consacrés par la loi nouvelle, il convenait de déclarer qu'en cas de guerre étrangère, les effets de l'état de siège continueraient, dans les lieux énoncés dans l'article 9, à être déterminés par les dispositions de la loi du 10 juillet 1791 [concernant la conservation et le classement des places de guerre et postes militaires, la police des fortifications et autres objets y relatifs], et le décret du 24 décembre 1811 [relatif à l'organisation et au service des états-majors de places]. C'est justement ce qu'a fait l'article 10, dont l'adoption n'a paru susceptible d'aucune difficulté.
Les formes et les effets de la levée de l'état de siège sont réglementés dans les dernières dispositions du projet de loi.
L'article 12 veut avec raison que l'état de siège déclaré ou maintenu par l'Assemblée [nationale] ne puisse être levé que par elle. Il ne pouvait dépendre du pouvoir exécutif de rapporter seul cette mesure sans consulter l'Assemblée souveraine par qui elle avait été prise. À l'égard des déclarations émanées da président de la République, des commandants militaires, ou du gouverneur des colonies, qui n'ont pas été soumises à la sanction de l'Assemblée [nationale], la levée peut en être prescrite par le président [de la République] seul, dont l'autorité pour ce cas n'est assujettie à aucune restriction. Votre commission a pensé qu'il était convenable d'attribuer, en outre, au président de la République, dans le cas de prorogation de l'Assemblée nationale, le droit de lever seul l'état de siège même décrété ou sanctionné par elle.
Cette faculté ne pouvant produire que d'heureux résultats, il ne saurait y avoir aucun inconvénient à l'admettre.
Avec la levée de l'état de siège, ne disparaissent pas toutes ses conséquences. Les tribunaux militaires pendant sa durée ont été saisis de la poursuite et du jugement des délits et des crimes dont le projet de loi actuel leur attribue la connaissance. Ces crimes et ces délits qui, sous l'empire de cet état exceptionnel, leur ont été déférés, continuent de leur appartenir, malgré le retour au droit commun dont les dispositions ne reprennent leur empire que pour les crimes et les délits nouveaux. Ainsi le réclamaient l'intérêt de la vindicte publique, l'unité de la procédure, et le respect de l'égalité, qui doit soumettre à une juridiction identique les individus arrêtés dans une situation semblable, sans se préoccuper de l'époque où interviendra le jugement.
Telle est, messieurs, l'économie de cette loi importante, attendue avec confiance par les bons citoyens, redoutée par les agitateurs, et destinée à protéger la Constitution, la République et la société, contre les désastreuses agressions qui, plusieurs fois, ont mis leur existence en péril.

PROPOSITION DE LOI DU 7 AOÛT 1849 DE LA COMMISSION CHARGÉE D’EXAMINER LE PROJET DE LOI SUR L’ÉTAT DE SIÈGE

CHAPITRE IER : CAS OÙ L'ÉTAT DE SIÈGE PEUT ÊTRE DÉCLARÉ.

Article 1er

L'état de siège ne peut être déclaré qu'en cas de péril imminent pour la sécurité intérieure ou extérieure.

CHAPITRE II : DES FORMES DE LA DÉCLARATION DE L'ÉTAT DE SIÈGE.

Article 2

L'Assemblée nationale peut seule déclarer l'état de siège, sauf les exceptions ci-après.
La déclaration de l'état de siège désigne les communes, les arrondissements ou départements auxquels il s'applique et pourra être étendu.

Article 3

Dans le cas de prorogation de l'Assemblée nationale, le président de la République peut déclarer l'état de siège, de l'avis du conseil des ministres.
Le président [de la République], lorsqu'il a déclaré l'état de siège, doit immédiatement en informer la commission instituée en vertu de l'article 32 de la Constitution [du 4 novembre 1848], et, selon la gravité des circonstances, convoquer l'Assemblée nationale.
La prorogation de l'Assemblée [nationale] cesse de plein droit lorsque Paris est déclaré en état de siège.
L'Assemblée nationale, dès qu'elle est réunie, maintient ou lève l'état de siège.

Article 4

Dans les colonies françaises, la déclaration de l'état de siège est faite par le gouverneur de la colonie.
Il doit en rendre compte immédiatement au Gouvernement.

Article 5

Dans les places de guerre et postes militaires, soit de la frontière, soit de l'intérieur, la déclaration de l'état de siège peut être faite par le commandant militaire dans les cas prévus par la loi du 10 juillet 1791 [concernant la conservation et le classement des places de guerre et postes militaires, la police des fortifications et autres objets y relatifs] et par le décret du 24 décembre 1811 [relatif à l'organisation et au service des états-majors de places].
Le commandant en rend compte immédiatement au Gouvernement.