Page:Condillac - Essai sur l’origine des connaissances humaines, Mortier, 1746, tome 2.djvu/16

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sensible. Par exemple, celui qui souffroit, parce qu’il étoit privé d’un objet que ses besoins lui rendoient nécessaire, ne s’en tenoit pas à pousser des cris ; il faisoit des efforts pour l’obtenir ; il agitoit sa tête, ses bras & toutes les parties de son corps. L’autre, ému à ce spectacle, fixoit les yeux sur le même objet ; &, sentant passer dans son ame des sentimens dont il n’étoit pas encore capable de se rendre raison, il souffroit de voir souffrir ce misérable. Dès ce moment, il se sent intéressé à le soulager ; & il obéit à cette impression, autant qu’il est en son pouvoir. Ainsi, par le seul instinct, ces hommes se demandoient & se prêtoient des secours. Je dis par le seul instinct ; car la réflexion n’y pouvoit encore avoir part. L’un ne disoit pas ; il faut m’agiter de telle manière, pour lui faire connoître ce qui m’est nécessaire & pour l’engager à me secourir : ni l’autre ; je vois à ses mouvemens qu’il veut telle chose, je vais lui en donner la jouissance : mais tous deux agissoient en conséquence du besoin qui les pressoit davantage.