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CORRESPONDANCE


17. A TURGOT.


Lundi au soir, 26 août 1771..


Monsieur, mademoiselle de l’Espinasse et ses secrétaires sont bien affligés : nous aimons tendrement M. Suard et sa femme, nous craignons qu’il ne perde la Gazette ; et même si ce malheur ne nous paraissait pas aussi affreux, nous en serions sûrs. Je ne sais si vous connaissez madame Suard, combien elle est sensible et touchante ; avec quelle tendresse et quel désintéressement elle aime son mari : au moment de tomber dans une indigence cruelle, elle ne craint, ne regrette rien pour elle ; elle n’est touchée que de ce que son mari aura à souffrir ; le mari n’est occupé que du malheur de sa femme. Il est impossible d’être plus malheureux qu’ils ne vont le devenir, et de mériter plus de bonheur. Ils sont la victime de la haine des bureaux ; et des hommes vertueux, des gens de lettres d’un mérite lare sont sacrifiés à une troupe de fripons insolents. Cette idée m’indignerait si je soufflais moins du malheur de mes amis ; je ne puis ni fixer l’étendue de celui de madame Suard, ni m’en distraire. Personne ne connaît mieux que moi jusqu’où va sa passion pour son mari et sa sensibilité. J’étais le confident de l’excès de son bonheur, il n’avait d’autre source que sa passion pour son mari, et cette passion ne lui fera plus éprouver que des déchirements ; elle n’aura plus de plaisir à aimer.

Le maréchal de Richelieu part jeudi pour casser