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CORRESPONDANCE


au monde de plus touchant que le courage et le calme de M. Suard et de sa femme. Elle n’a point, dit-elle, la force de s’affliger, puisque son mari est tranquille. Elle oublie la perte qu’ils font pour ne voir que l’indépendance où il va être ; et elle sent que puisque son mari sera heureux, et qu’elle conservera ses amis, les privations ne sont rien pour elle, La contradiction d’être obligé de quitter son appartement l’afflige, parce que c’est le lieu où son bonheur a commencé et où elle a été heureuse pendant six ans. Ce sentiment prouve bien le calme de son âme, et me fait grand plaisir. Elle est si douce, si sensible et si habituée à un sentiment unique et pur, que le trouble et l’agitation lui seraient mortels.


19. A TURGOT.


Ribemont[1], ce vendredi 11 octobre 1771.


Monsieur, je suis arrivé ici samedi dernier ; j’y ai trouvé une de vos lettres, et j’en ai reçu une depuis. Je me suis remis à la géométrie avec bien du plaisir. Il me faut une occupation forte pour écarter les idées tristes que j’emporte dans la solitude. Ma santé n’est pas mauvaise ; je n’ai rien eu autre chose que de ces indispositions qu’on appelle mal de nerfs. Le grand intérêt de mes amis a pu seul y attacher quelque importance. Je suis aussi peu content que vous de la plupart des traductions, et surtout de celles que je fais [2]. Je suis trop paresseux pour

  1. Village de Picardie où était né Condorcet.
  2. Il s’amusait à traduire Sénéque pour Mme de Meulan la jeune.