Page:Condorcet - Œuvres, Didot, 1847, volume 1.djvu/563

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
361
ENTRE DIOGÈNE ET ARISTIPPE.

courtisans s’empressèrent d’applaudir à Denys, qui venait, disait-on, de punir des insolents qui l’avaient outragé. Les ennemis du tyran croyaient qu’il sacrifiait au plaisir de se venger, les citoyens les plus utiles. Je disais aux uns et aux autres : Si ces hommes n’eussent pas été ses ennemis, il eût dû les punir plus sévèrement. Souvenez-vous de ce malheureux étranger qu’ils immolèrent aux dieux : c’est sa mort que Denys a vengée, et non ses propres injures. Est-ce que Diogène estimerait Démarate et Agathocle plus que Denys ?

DIOGÈNE.

Non, je méprise et je hais tous les gens injustes et cruels, et si je hais plus Denys, c’est qu’il fait plus de mal. Mais si vous, Aristippe, avez une âme vraiment noble et élevée, ramperiez-vous à la cour d’un tyran ? Content de pouvoir alléger quelques-uns des maux qu’il peut faire, pourquoi ne pas vivre dans une république, où vous formeriez des hommes par vos leçons, où vous les élèveriez par vos exemples, et où vous seriez plus utile et où vous ne vous aviliriez point ?

ARISTIPPE.

Tout homme qui a des lumières et du courage peut faire du bien dans une ville libre. Aristippe seul peut être utile à une ville opprimée : souffre qu’il y vive. Il vaudrait mieux sans doute que Syracuse fût affranchie et eût de bonnes lois ; mais si ce mieux est impossible, faisons, sans nous irriter contre le destin, tout le bien que nous pouvons faire, et ne désespérons jamais d’en faire, même sous un tyran,