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DISCOURS DE RÉCEPTION


convient à l’homme de lettres. Pourrait-il ignorer que les avantages personnels, les seuls qui soient réels à ses yeux, n’ont droit qu’à l’estime, et qu’il ne doit ni prétendre à d’autres distinctions, ni surtout, en affectant de les mépriser, se faire soupçonner d’en être jaloux ?

M. Saurin pensait que celui qui a fait de la culture de son esprit et de sa raison l’occupation de sa vie, loin d’être supérieur aux autres hommes, se place au-dessous d’eux, si sa conduite ne prouve point que le premier fruit de ses travaux a été de le rendre meilleur. Il croyait que l’homme de lettres, qui ne s’élève pas au-dessus des petitesses de l’amour-propre, n’est plus en droit de mépriser la vanité des autres états, et que l’écrivain qui consume son temps dans les querelles de la littérature, se rabaisse au niveau de l’homme frivole, qui perd sa vie dans l’intrigue. Aussi a-t-on vu M. Saurin conserver constamment, dans toutes les disputes littéraires, cet esprit de paix et cette impartialité qui naît de l’amour de la justice, et non de la personnalité ou de l’indifférence. Mais ce même amour de la justice ne lui permettait pas de rester neutre entre ceux qui honorent l’état d’hommes de lettres, et ceux qui l’avilissent ; entre les écrivains qui combattent pour la cause de l’humanité, et ceux qui ont vendu leurs voix à ses ennemis. Admirateur et ami constant des hommes dont les travaux faisaient la gloire de la littérature et servaient leur patrie, il portait au fond du cœur, pour leurs adversaires, le mépris et la haine généreuse de la vertu.