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A SA FILLE.


sur cette disposition heureuse qui porte à plaindre les hommes plutôt qu’à les condamner.

Par là tu sauras faire servir à ton bonheur cette foule d’êtres bons mais faibles, sans défauts rebutants mais sans qualités brillantes, qui peuvent distraire s’ils ne peuvent occuper, qu’on rencontre avec plaisir et qu’on quitte sans peine, que l’on ne compte point dans l’ensemble de sa vie, mais qui peuvent en remplir quelques vides, en abréger quelques moments.

Par là tu verras encore ces êtres supérieurs par leurs talents ou par leur âme, se rapprocher de toi avec plus de confiance.

Plus ils sont en droit de croire qu’ils peuvent se passer d’indulgence, plus ils en éprouvent le besoin. Accoutumés à se juger avec sévérité, la douceur d’autrui les attire ; et ils pardonnent d’autant moins le défaut d’indulgence, d’indulgents eux-mêmes, ils sont portés à voir dans le caractère opposé plus d’orgueil que de délicatesse, plus de prétention que de supériorité réelle, plus de dureté que de véritable vertu.

Tes devoirs, tes intérêts les plus importants, tes sentiments les plus chers, ne te permettront pas toujours de n’avoir pour société habituelle que ceux avec qui tu aurais choisi de vivre. Alors ce qui ne t’aurait rien coûté, si, plus raisonnable et plus juste, tu avais pris l’heureuse habitude de l’indulgence, exigera de toi des sacrifices journaliers et pénibles : ce qui avec cette habitude n’eût été qu’une légère contrainte, deviendrait sans elle un véritable malheur.