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sur le préjugé, etc.

profession qui devient dominante, après s’être corrompue elle-même, finit par altérer et par corrompre l’esprit public. Plus au contraire les diverses classes sont mêlées de manière à se faire équilibre, à ne permettre à aucune d’acquérir de la prépondérance, plus les principes de justice seront respectés. Il ne faut pas conclure que ces classes diverses aient des intérêts réellement opposés, mais seulement que la réunion des hommes qui doivent naturellement avoir les mêmes préjugés rend ces préjugés plus opiniâtres et plus dangereux, en opposant la force du grand nombre et le poids de l’opinion à l’autorité de la raison. L’esprit qui règne dans le lieu où réside le législateur a sur les lois une influence nécessaire, et l’on doit regarder comme un bonheur pour un peuple libre d’avoir, comme la France, une capitale où aucun grand intérêt n’oppose ses préjugés à la voix de la raison et au sentiment de la liberté.

Dans une capitale qui doit presque uniquement sa grandeur à ce titre, l’habitude de voir traiter les affaires générales donne nécessairement plus d’étendue aux idées ; les préjugés de tous les pays, de toutes les professions, combattus les uns par les autres, laissent à la raison un champ plus libre ; des intérêts locaux ou particuliers ne rétrécissent point les vues ; l’opinion publique qui s’y forme a plus de dignité et de grandeur, s’éloigne moins des principes de la justice universelle.

On y exerce, contre les abus d’un pouvoir quelconque, une vigilance moins inquiète, parce qu’il y