Page:Condorcet - Œuvres, Didot, 1847, volume 10.djvu/193

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de la liberté, etc.

ruption, et il y conserve la libellé. Un homme soupçonné d’avoir voulu élever une insurrection contre la loi y serait déshonoré. L’Anglais sait souffrir du défaut de ses lois, même dans une constitution où il sait qu’une active persévérance peut seule, au bout d’un long temps, amener la destruction des abus. En Amérique, le respect pour la loi est le premier mobile de la conduite publique et privée des citoyens.

On reproche aux Français de pas connaître encore ce sentiment. Mais peut-être aucun peuple n’y était-il moins préparé. Depuis le règne de Charles le Chauve, le mépris pour les lois, la prétention de s’y soustraire, était en France un signe de grandeur, et même une sorte d’honneur. D’abord les gouverneurs, en se rendant héréditaires, cessèrent d’obéir aux lois générales, et ils ne purent soutenir leur indépendance qu’en souffrant celle des plus puissants de leurs vassaux. À l’avènement de Hugues Capet, l’unité monarchique avait disparu, et, jusqu’au troisième ou quatrième degré de passerage, chacun prétendait au droit de n’avoir pour juge que son épée, et de faire la guerre au lieu de s’adresser à des juges. Ce droit de guerre ne disparut absolument que sous Louis XII ; mais le préjugé des nobles dura plus longtemps que leur pouvoir. Un jugement qui les condamnait à payer leurs dettes, ou à rendre un bien usurpé, ne s’exécutait qu’après quelques combats, et souvent après un long espace de temps. Il était du bon air de battre, et même de tuer les ministres subalternes de la justice.