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aux amis

seurs. Le respect pour la loi est un sentiment plus réfléchi. Un philosophe n’a pas de peine à se dire : Puisque la loi doit être la même pour tous, pourquoi refuserais-je mon obéissance à celle qui est contraire à mon opinion, et cependant voudrais-je soumettre les autres à celle que j’approuve ? Mais le premier mouvement de l’homme peu éclairé est de se dire : Cette loi est mauvaise, je ne dois pas y obéir. C’est ainsi que, s’il est question de la liberté religieuse, le philosophe dira : Cet homme croit sa religion comme je crois la mienne. Nous devons donc être également libres de la pratiquer. Mais le superstitieux dira longtemps encore : Ma religion est la seule vraie ; on ne doit donc permettre de pratiquer qu’elle.

Ainsi, rien peut-être ne serait plus utile que de persuader aux citoyens qu’ils ne seront pas véritablement libres, si dans la société tous ne suivent les mêmes règles, et par conséquent si tous ne sont soumis à la loi légitime ; que s’y soustraire parce qu’on la désapprouve intérieurement, ce n’est pas jouir de la liberté, ni même de l’indépendance ; c’est exercer une sorte de tyrannie, c’est asservir les autres à ses intérêts, à ses passions, que trop souvent on confond avec sa raison. Il faut leur faire sentir que l’insurrection contre les lois n’est un exercice du droit de résister à l’oppression, que dans le cas où la constitution n’offre aucun moyen légal d’obtenir la révocation d’une loi injuste ; que chaque homme, maître de juger par lui-même de ce qui est ou n’est pas juste, ne peut donner sa raison