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de l’influence

soins comme un honneur : car il faut l’œil d’un philosophe pour ne pas évaluer l’importance d’une place d’après le revenu qui y est attaché. Et de quel droit demanderiez-vous au peuple un discernement plus éclairé, tandis qu’à ses yeux les législateurs mêmes mettent le monarque dans le cas de payer les plus faibles services rendus à sa personne, vingt fois au delà de ce qu’au nom de la patrie, ils adjugent aux fonctions publiques les plus pénibles et les plus assujettissantes ? Et que peuvent être ces hommes qui, pour des salaires scandaleux, se vouent à un ennui dont il faut bien que les illusions de la vanité les sauvent ? Valets d’un maître, et rois de leurs valets, vils et orgueilleux, à la suite d’un roi, se trouve donc inévitablement une classe d’hommes dégradés ! Qu’est-ce qu’une place dont l’atmosphère est ainsi empoisonnée ? Qu’est-ce qu’une place qui multiplie à l’infini, par l’influence des richesses, la dépendance d’homme à homme, qui en force un à accumuler des trésors ou à corrompre tout autour de lui ; une place qui, par toutes celles qui en dépendent et le luxe qui en est l’objet, offre sans cesse à l’envie et à la cupidité un but dont l’intrigue et la bassesse peuvent seules approcher ? De quel droit nos représentants mettraient-ils entre les mains du roi assez d’or, pour que la horde de ces brigands oisifs puisse insulter à notre médiocrité, irriter notre jalousie, faire varier à son gré, et pour notre ruine, le prix de nos denrées et de nos marchandises ; attirer sur les objets du luxe le plus inutile des bras qui, occupés des commodités de la vie, les rendraient moins