Page:Condorcet - Œuvres, Didot, 1847, volume 10.djvu/380

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sur la liberté

vaise loi ; c’est qu’on a craint d’arrêter le commerce au lieu d’en prévenir les abus. Or, si on a eu raison de redouter l’incertitude d’une loi faite par des hommes éclairés, les erreurs des jugements confiés à l’examen rigoureux d’hommes instruits, quelle confiance pourraient avoir, dans leur propre opinion, des citoyens qui n’ont pas les mêmes moyens de s’assurer des faits, de les suivre, de les apprécier ? Ce qui paraîtrait, à quelques-uns, un immense accaparement, ne serait, dans la réalité, qu’une faible partie de ce qu’il faudrait, non pour fournir, mais pour soutenir, dans un état constant d’abondance, pendant un ou deux mois, les marchés d’un département, ou seulement d’une grande ville.

Comment un négociant serait-il sûr de pouvoir, dans les temps qui précèdent immédiatement la nouvelle récolte, fournir des grains aux pays qui ont besoin de cette ressource, s’il n’avait la liberté de les acheter et de les rassembler d’avance ? Comment pourrait-il faire parvenir à un département qui éprouve la disette, des bâtiments chargés de grains, s’il n’avait la faculté d’en réunir paisiblement la masse nécessaire pour leur chargement ? N’est-il pas évident que si, au lieu d’arrher des grains, il fallait en acheter, en payer, en transporter sur-le-champ la masse entière, il en résulterait des frais inutiles, dont l’effet serait un rehaussement de prix au détriment du seul consommateur ?

Ainsi, par cette haine aveugle contre ceux qu’on flétrit de ces noms odieux, on s’expose à regarder comme des scélérats des négociants utiles à la chose