Page:Condorcet - Œuvres, Didot, 1847, volume 11.djvu/25

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états [1] n’ont été remplis longtemps que par des hommes déshonorés : tous trois protégés, employés en secret par le gouvernement, étaient flétris par des lois ; longtemps leurs opérations n’ont été qu’un tissu de manœuvres coupables. Mais ces préjugés, fondés autrefois sur la raison, et maintenant désavoués par elle, se dissiperont, et le peuple deviendra moins injuste, en devenant moins malheureux.

Parmi les causes qui entretiennent la haine du peuple contre les marchands de blé, il en est une à laquelle on n'a pas daigné faire attention, parce qu’elle est absurde, mais qui n’en est pas moins puissante : chaque année, des chanteurs parcourent les campagnes avec des complaintes : tantôt, c'est un pauvre qui a proposé à un fermier de lui vendre du blé à bon marché, quoiqu’il soit cher ; le charitable fermier va remplir le sac, et en revenant il trouve son pauvre, transmué en un grand crucifix qui fait force miracles. Une autre fois, c’est un fermier qui a dit, en reniant Dieu, qu’il aimait mieux être mangé des rats, que de vendre son blé à une pauvre femme ; et voilà soudainement que les rats viennent le manger jusqu’aux os, comme Popiel, duc de Lithuanie, et je ne sais quel archevêque de Mayence,

  1. (1) Notre agriculteur, qui ne connaît pas les finesses de la langue, avait mis métier. En français, on dit le métier de laboureur, le métier de poète, de philosophe, le métier de la guerre ; mais il serait de la plus grande impolitesse de parler du métier de fermier d’impôts, de banquier, d’agent de change ; ce serait manquer au respect que, dans toute nation bien policée, on doit à l’or et au talent d’en amasser.