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Page:Condorcet - Œuvres, Didot, 1847, volume 2.djvu/189

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ÉLOGE DE M. DE LA CONDAMINE.


nale. D’ailleurs, dans toute contrée éloignée de deux mille lieues de son souverain, la facilité de le tromper et d’éluder ses ordres produit nécessairement une sorte d’anarchie. Pour vaincre les difficultés que de telles circonstances devaient faire naître à chaque pas, il fallait un homme dont l’activité crût avec les obstacles, qui fût également prêt à sacrifier au succès de son entreprise sa fortune, sa santé et sa vie ; qui, tirant sa force de la vigueur naturelle de son âme, réunît toutes les espèces de courage ; qui, pénétré de la grandeur de son objet et du respect que doivent toutes les nations à un homme chargé des intérêts de l’humanité entière, sût en réclamer hautement les droits, sans que rien pût ou l’intimider ou le rebuter. Il fallait encore que cet homme joignît à ces grandes qualités cette universalité de connaissances qui seule peut attirer à un savant l’estime de l’ignorance ; qu’il eût dans l’esprit un naturel piquant, une singularité même propre à frapper des hommes de tous les pays et de tous les états ; qu’il mît dans ses discours cette chaleur qui entraîne, qui force l’opinion et la volonté : il fallait donc M. de la Condamine.

Il partit de la Rochelle le 16 mai 1735. Arrivé à la Martinique, après trente-sept jours de navigation, il fut attaqué d’une fièvre violente, la veille du jour marqué pour le départ ; il ne put consentir à le retarder ; et, pour me servir de ses expressions, il fut malade, saigne, purgé, guéri et embarqué en vingt-quatre heures.

De la Martinique, les voyageurs français allèrent