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Page:Condorcet - Œuvres, Didot, 1847, volume 3.djvu/118

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ÉLOGE DE M. D’ALEMBERT.


gai ; il se livrait à ses premiers mouvements, mais il n’en avait point qu’il eût intérêt de cacher. Dans ses dernières années, une inquiétude habituelle avait altéré sa gaieté ; il s’irritait facilement, mais revenait plus facilement encore ; cédait à un mouvement de colère, mais ne gardait point d’humeur ; malgré la tournure quelquefois maligne de son esprit, on n’a jamais eu à lui reprocher la plus petite méchanceté, et il n’a jamais affligé, même ses ennemis, que par son mépris et son silence. Après avoir demeuré près de quarante ans dans la maison de sa nourrice, sa santé l’obligea de quitter le logement qu’il occupait chez elle, et l’âge de cette femme respectable ne lui permit pas de le suivre : tant qu’elle vécut, deux fois chaque semaine il se rendait auprès d’elle, s’assurait par ses yeux des soins qu’on avait de sa vieillesse, cherchait à prévenir, à deviner ce qui pouvait rendre plus douce la fin d’une vie sur laquelle sa reconnaissance et sa tendresse avaient répandu l’aisance et le bonheur. En quittant cette maison, il chercha un asile dans l’amitié, dans la société habituelle d’une femme aimable qui, par une sensibilité simple et vraie, par les grâces piquantes et naturelles de son esprit, par la force de son âme et de son caractère, avait fait naître en lui un sentiment que les malheurs qu’elle avait longtemps éprouvés rendirent plus profond et plus tendre, et qui eût été la consolation de la vie de M. D’Alembert, s’il n’avait pas eu le malheur de lui survivre.

Les savants et les écrivains les plus célèbres, des étrangers distingués par leurs lumières, des hom-