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Page:Condorcet - Œuvres, Didot, 1847, volume 3.djvu/191

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ÉLOGE DE M. CASSINI.


sage est trop rare pour qu’il puisse avoir besoin d’apologie.

On doit sans doute respecter le philosophe qui sait éviter ces liaisons à la fois si séduisantes et si dangereuses ; cependant, si tous ceux qui ont des lumières avaient le courage et la prudence de s’y refuser, ce serait un malheur, et pour les sciences et pour les grands eux-mêmes, et surtout pour ceux sur le sort desquels les grands ont de l’influence. Il ne faut donc pas blâmer les savants qui imiteraient, à cet égard, M. Cassini, pourvu toutefois qu’ils n’oublient point que, pour être exempts de tout reproche, ils doivent imiter aussi son désintéressement et sa modestie.

M. Cassini était né avec une constitution très-forte ; ses travaux pour la géographie l’avaient obligé à des voyages pénibles ; gravissant des montagnes escarpées où il fallait braver, dans une même saison, tantôt un soleil brûlant, tantôt le froid de leurs neiges éternelles, passant souvent des nuits en plein air ou dans quelques chaumières écartées, obligé de s’y contenter d’une nourriture grossière ou malsaine, son tempérament avait résisté à ces fatigues, et semblait avoir acquis de nouvelles forces. Mais il fut attaqué d’une rétention d’urine dont les suites le condamnèrent, les douze dernières années de sa vie, à des incommodités habituelles et douloureuses, souvent même à des souffrances cruelles. Il supporta cet état avec ce courage calme d’une âme forte, unie à des organes vigoureux : son activité, sa douceur, sa gaieté, n’en étaient pas altérées.