Aller au contenu

Page:Condorcet - Œuvres, Didot, 1847, volume 3.djvu/248

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
236
ÉLOGE DE M. GUETTARD.


Si une telle franchise offense quelquefois, au moins a-t-elle sur la politesse l’avantage d’inspirer la confiance : on sait ce qu’on doit espérer ou craindre. Une société composée d’hommes de ce caractère, si elle perdait quelques agréments, gagnerait en revanche deux biens inestimables, la paix et la sûreté ; et on ne peut préférer à cette franchise, sévère dans sa naïveté, qu’une franchise plus douce, tempérée, non par des ménagements de convention ou de politique, mais par une sensibilité vraie, que la crainte de blesser rend adroite ou caressante. Peu d’hommes ont eu plus de querelles, se sont brouillés plus souvent d’une manière ouverte ; mais il n’a jamais fait le moindre mal à personne, ni porté la moindre atteinte à la réputation même littéraire de ses prétendus ennemis. Je l’ai entendu parler avec l’intérêt le plus vrai, le plus tendre même, d’un savant avec lequel il avait alors une dispute, dont il avait à se plaindre, et qui, l’ayant offensé, se croyait l’objet de sa haine.

Il n’aimait rien de ce qui dominait sur les opinions ou sur les hommes : difficile à vivre pour ceux auxquels il pouvait supposer des prétentions ou des titres à la supériorité, il était humain, même doux et facile, avec ses inférieurs. Il était béni, respecté par les pauvres, les gens du peuple, les domestiques : dans les uns il paraissait craindre des tyrans, les autres n’étaient pour lui que ses frères. Cette espèce d’aversion pour tout ce qui avait de la grandeur ou de l’éclat, s’étendait jusqu’à la supériorité de gloire et de génie ; il croyait voir dans toutes les