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Page:Condorcet - Œuvres, Didot, 1847, volume 3.djvu/249

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ÉLOGE DE M. GUETTARD.


grandes réputations, un mélange de charlatanerie qui les avilissait à ses yeux. Le talent du style, l’art de présenter les objets, ne lui paraissaient que des moyens de tromper : ce sentiment n’était pas de l’envie, il n’était injuste qu’en vers ceux dont il ne pouvait apprécier le génie, et dont il croyait de bonne foi que la gloire était usurpée ; et ce qui le prouve, c’est que Linnée n’a jamais eu d’admirateur plus sincère, et que le seul homme pour qui M. Guettard ait montré de l’enthousiasme, est précisément celui dont il pouvait être le plus jaloux, mais aussi celui dont il sentait plus le mérite. Nous avons vu qu’il avait aussi pardonné à M. de Malesherbes et sa réputation et ses places, peut-être parce que, le connaissant mieux, il l’avait vu parvenir à la renommée, en ne songeant qu’à la justice et à sa conscience, et, plus étonné qu’enorgueilli de sa gloire, accepter les places avec résignation pour les quitter avec joie. M. Guettard ne pouvait se défendre d’un mouvement d’humeur lorsqu’il voyait qu’on lui enlevait la priorité d’une observation, et il en avait même un peu plus que si un autre eût été l’objet de cette injustice. Ce n’est pas qu’il attachât beaucoup de prix à la réputation, il s’en serait fait un scrupule ; mais comme il ne donnait aucun soin à son style, comme l’originalité souvent. piquante, la finesse qu’il montrait dans la conversation et dans ses lettres, disparaissaient dans ses ouvrages, que ses mémoires étaient difficiles à lire, il ne pouvait se dissimuler qu’il avait peu de lecteurs ; il était frappé de la crainte qu’on ne l’estimât point, et il ne lui avait pas été