Aller au contenu

Page:Condorcet - Œuvres, Didot, 1847, volume 3.djvu/250

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
238
ÉLOGE DE M. GUETTARD.


donné de porter l’humilité jusqu’à souffrir avec patience une injustice qui aurait été si peu méritée. Cette idée, qui l’occupait trop souvent, était une des causes de son humeur, et la seule qui ne fût pas une suite de ses vertus, de sa haine pour l’intrigue et pour la charlatanerie, haine qui les lui faisait voir où elles n’étaient pas, d’un amour pour la justice et pour la vérité, aussi facile à blesser que pourrait l’être une passion dominante. Ce dernier sentiment lui faisait regarder toute espèce d’éloges, et même les éloges académiques, comme de véritables mensonges. Vous allez bien mentir, me disait-il quelquefois, en me parlant d’une de nos séances publiques, et il ajoutait : quand il s’agira de moi, je ne veux que la vérité. Ce désintéressement, si rarement sincère, était dans son âme, et en remplissant ici ses intentions à la rigueur, je lui rends l’hommage qu’il eût le plus désiré. Il cherchait si peu à paraître meilleur qu’il n’était, que ses défauts frappaient ceux qui le connaissaient à peine, tandis que ses amis seuls connaissaient toutes ses vertus. Peut-être y a-t-il, dans cette assemblée même, plusieurs personnes qui, n’ayant connu M. Guettard que par quelques réponses brusques ou même dures, par quelques traits d’humeur, seront étonnées d’apprendre que cet homme, en apparence si sévère, si difficile, forcé par sa position à vivre isolé, avait adopté la famille très-nombreuse d’une femme qui le servait, en faisait élever tous les enfants, et veillait lui-même sur les plus petits détails de leur éducation ; qu’il ne pouvait voir un malheureux, non-seulement sans