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Page:Condorcet - Œuvres, Didot, 1847, volume 3.djvu/267

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ÉLOGE DE M. L’ABBÉ DE GUA.


arriva de donner des conjectures sur quelques phénomènes météorologiques presque pour des prédictions ; elles manquèrent, et l’opinion exerça contre lui une sévérité très-rigoureuse. Nous avons vu depuis le même public pardonner aux enthousiastes de certaines chimères bien éloignées d’avoir un fondement aussi réel, et dont ils n’avaient pas même le faible mérite d’être les inventeurs ; mais ce n’est jamais pour les fautes des hommes d’un talent réel, que l’opinion sait avoir de l’indulgence.

Livré à de vaines espérances, M, l’abbé de Gua s’occupait peu du soin de ménager une fortune très-modique, et un procès absorbait encore la plus grande partie de son revenu. Frappé de l’idée qu’il avait essuyé une injustice dans le partage des biens d’un de ses frères, il voulut en poursuivre la réparation, et ce sentiment l’emporta sur son véritable intérêt. Pouvait-il, en effet, se dissimuler que, par un malheur commun à plusieurs nations, et même aux nations de l’Europe les plus éclairées, il en coûte pour défendre ou recouvrer une propriété d’une valeur médiocre, plus qu’il n’en coûterait pour l’acheter ; que, pour suivre un procès sans se ruiner, il faut être en état de se passer de l’objet qu’on réclame ; qu’un homme d’esprit, accoutumé à la discussion, capable d’un travail opiniâtre et continu, ne parvient qu’avec peine à entendre la loi qui doit le juger, et n’est pas sûr encore que ses juges voudront l’entendre de même ; qu’enfin, dans presque toutes les affaires, les deux parties gagneraient à sacrifier chacune la moitié de ses préten-