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Page:Condorcet - Œuvres, Didot, 1847, volume 3.djvu/269

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ÉLOGE DE M. L’ABBÉ DE GUA.

Il a institué pour son héritier M. l’abbé Martin, professeur de mathématiques à Toulouse, et connu par un ouvrage élémentaire très-estimable.

M. l’abbé de Gua avait dans l’esprit plus de force que de flexibilité, plus d’originalité que de rectitude ; il préférait dans ses opinions ce qui était singulier, dans ses travaux ce qui s’écartait des routes battues ; il aimait par goût tout ce qui exigeait des efforts et de la patience, tout ce qui offrait des difficultés ; il portait même ce goût jusqu’à s’amuser, dans ses délassements, à faire des anagrammes très-compliquées, et une fois, pour répondre à un défi, il composa un poème assez long en vers d’une seule syllabe. Sa conversation était plus piquante qu’agréable ; il aimait mieux discuter que causer, et il ne pouvait plaire qu’à ceux dont l’esprit n’était ni fatigué par des raisonnements subtils, ni rebuté par des idées extraordinaires. Son caractère était franc, incapable de plier ou de souffrir l’ombre d’une injure ; aisé à blesser, et difficile peut-être dans le commerce de la vie, il était capable d’une amitié vraie, courageuse, inébranlable. Ses malheurs n’avaient fait que donner à son âme plus d’élévation et de fierté ; il fallait, pour qu’il permît de lui témoigner de l’intérêt, qu’il fût sûr qu’un sentiment d’estime en était le principe : ses amis n’osaient, même à l’aide des déguisements que l’amitié fait inventer, essayer de lui rendre des services dont, à la honte de ceux qui peuvent les offrir, les infortunés qui les reçoivent sont souvent excusables d’être humiliés ; mais sa fierté n’était point de l’aigreur, sa pauvreté ne lui donnait