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Page:Condorcet - Œuvres, Didot, 1847, volume 3.djvu/302

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ÉLOGE DE M. BOUVART.


contre lequel il suffit d’alléguer cette simple observation. M. Bouvart étendait sa sévérité plus loin : pour consulter avec lui, il fallait avoir les titres prescrits par les anciens statuts ; mais ces titres ne lui suffisaient pas toujours, et en cela c’était à lui-même qu’il faisait justice ; il sentait que la roideur de son caractère rendait absolument inutile toute conférence entre lui et des hommes dont la personne ou les principes avaient blessé ses opinions ou son caractère.

D’après les traits que nous venons de rapporter, on voit que M. Bouvart devait avoir des amis tendres, des admirateurs enthousiastes et des ennemis acharnés ; mais jamais ceux-ci ne lui contestèrent ni l’étendue de ses connaissances, ni la justesse de son coup d’œil, ni les succès de sa pratique, ni sa probité comme homme et comme médecin ; et cette justice que lui ont rendue constamment des hommes qu’il avait blessés par un mépris ou des railleries plus offensantes que les injures, est une preuve de ses talents qu’il serait difficile de contester. Si la gloire pouvait consoler du malheur d’être haï, on pourrait dire que la plus assurée, la plus incontestablement méritée, est celle sur laquelle la douceur et l’amabilité n’ont pas rendu les contemporains trop faciles, et qui n’a point été embellie par les mains de l’amitié. Mais, au hasard peut-être d’avoir à craindre de la postérité un jugement plus sévère, pourrait-on ne pas préférer le partage de celui qui laisserait à douter si sa célébrité est l’ouvrage de ses talents, ou celui de la bienveillance générale qu’il a obtenue ?