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Page:Condorcet - Œuvres, Didot, 1847, volume 3.djvu/362

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ÉLOGE DE M. DE BUFFON.


serve sa dignité imposante ; c’est toujours la nature qu’il peint ; et il sait que, même dans les plus petits objets, elle a manifesté toute sa puissance. Frappé d’une sorte de respect religieux pour les grands phénomènes de l’univers, pour les lois générales auxquelles obéissent les diverses parties du vaste ensemble qu’il a entrepris de tracer, ce sentiment se montre partout, et forme en quelque sorte le fond sur lequel il répand de la variété, sans que cependant on cesse jamais de l’apercevoir.

Cet art de peindre, en ne paraissant que raconter, ce grand talent du style, porté sur des objets qu’on avait traités avec clarté, avec élégance, et même embellis par des réflexions ingénieuses, mais auxquels jusqu’alors l’éloquence avait paru étrangère, frappèrent bientôt tous les esprits ; la langue française était devenue la langue de l’Europe, et M. de Buffon eut partout des lecteurs et des disciples. Mais ce qui est plus glorieux, parce qu’il s’y joint une utilité réelle, le succès de ce grand ouvrage fut l’époque d’une révolution dans les esprits : on ne put le lire sans avoir envie de jeter au moins un coup d’œil sur la nature ; et l’histoire naturelle devint une connaissance presque vulgaire ; elle fut, pour toutes les classes de la société, ou un amusement, ou une occupation ; on voulut avoir un cabinet, comme on voulait avoir une bibliothèque ; mais le résultat n’en est pas le même ; car, dans les bibliothèques, on ne fait que répéter les exemplaires des mêmes livres, et ce sont des individus différents qu’on rassemble dans les cabinets ; ils s’y multiplient pour les natu-