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Page:Condorcet - Œuvres, Didot, 1847, volume 3.djvu/366

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ÉLOGE DE M. DE BUFFON.


sera ni exposé à contracter des défauts, ni à perdre de son originalité.

Dans d’autres écrivains, le style paraît se confondre davantage avec les pensées. Non-seulement, si on cherche à les séparer, on détruit des beautés, mais les idées elles-mêmes semblent disparaître, parce que l’expression leur ^imprimait le caractère particulier de l’âme et de l’esprit de l’auteur, caractère qui s’évanouit avec elle : tels furent Corneille, Bossuet, Montesquieu, Rousseau ; tel fut M. de Buffon.

Ils frappent plus que les autres, parce qu’ils ont une originalité plus grande et plus continue ; parce que, moins occupés de la perfection et des qualités du style, ils voilent moins leurs hardiesses ; parce qu’ils sacrifient moins l’effet au goût et à la raison ; parce que leur caractère, se montrant sans cesse dans leurs ouvrages, agit à la longue plus fortement, et se communique davantage ; mais en même temps ils peuvent être des modèles dangereux : pour imiter leur style, il faudrait avoir leurs pensées, voir les objets comme ils les voient, sentir comme ils sentent. Autrement, si le modèle vous offre des idées originales et grandes, l’imitateur vous présentera des idées communes, surchargées d’expressions extraordinaires ; si l’un ôte aux vérités abstraites leur sécheresse, en les rendant par des images brillantes, l’autre présentera des demi-pensées, que des métaphores bizarres rendent inintelligibles. Le modèle a parlé de tout avec chaleur, parce que son âme était toujours agitée ; le froid imitateur cachera son in-