vie ; il ne voulut pas la risquer contre l’espérance
d’un soulagement souvent passager, et suivi quelquefois
d’infirmités pénibles, qui, lui ôtant une partie
de ses forces, auraient été pour une âme active
plus insupportables que la douleur. Il conserva, presque
jusqu’à ses derniers moments, le pouvoir de
s’occuper avec intérêt de ses ouvrages et des fonctions
de sa place, la liberté entière de son esprit,
toute la force de sa raison, et pendant quelques jours
seulement, il cessa d’être l’homme illustre, dont le
génie et les travaux occupaient l’Europe depuis quarante
ans.
Les sciences le perdirent le 16 avril 1788.
Lorsque de tels hommes disparaissent de la terre, aux premiers éclats d’un enthousiasme, augmenté par les regrets, et aux derniers cris de l’envie expirante, succède bientôt un silence redoutable, pendant lequel se prépare avec lenteur le jugement de la postérité. On relit paisiblement, pour l’examiner, ce qu’on avait lu pour l’admirer, le critiquer, ou seulement pour le vain plaisir d’en parler. Des opinions conçues avec plus de réflexion, motivées avec plus de liberté, se répandent peu à peu, se modifient, se corrigent les unes les autres, et à la fin une voix presque unanime s’élève et prononce un arrêt que rarement les siècles futurs doivent révoquer.
Ce jugement sera favorable à M. de Buffon : il restera toujours dans la classe si peu nombreuse des philosophes dont une postérité reculée fit encore les ouvrages. En général, elle se rappelle leurs noms,