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Page:Condorcet - Œuvres, Didot, 1847, volume 3.djvu/407

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ÉLOGE DE FRANKLIN.


devoir de la reconnaissance et celui du patriotisme ; Franklin crut n’en avoir qu’un seul à remplir, celui de dire la vérité aux ministres, au parlement britannique, comme il l’avait dite aux citoyens de Philadelphie.

Le roi, les deux nations, n’avaient à ses yeux qu’un même intérêt ; et en défendant la cause de l’Amérique, il croyait servir l’Angleterre. Telle est l’explication simple de sa conduite.

En 1766, la chambre des communes voulut l’interroger et l’entendre. Ce fut sans doute un beau spectacle de voir le député des citoyens libres de l’Amérique, défendant la justice et les droits éternels de la nature devant des hommes qui, se disant aussi les représentants d’un peuple libre, ne pouvaient, sans trahir leur devoir, ne pas regarder une même liberté comme une propriété égale et inaliénable pour toute l’espèce humaine ; de l’entendre, opposant la simplicité du courage et de la raison à l’orgueil de la richesse et du pouvoir, annoncer qu’on ne parviendrait ni à séduire, ni à intimider, ni à vaincre les Américains, et le prouver par sa contenance et par son exemple ; montrant aux Anglais les écueils contre lesquels leur politique et leur puissance devaient se briser ; leur révélant le secret de la force de l’Amérique, sans dissimuler celui de sa faiblesse, et parlant à ce conseil de rois ennemis avec la même franchise que si, au milieu de l’abandon, de la confiance, il eût versé dans le sein d’un ami ses opinions et ses conjectures. L’ascendant de la vérité l’emporta cette fois sur celui du ministère ; la chambre des