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Page:Condorcet - Œuvres, Didot, 1847, volume 3.djvu/408

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ÉLOGE DE FRANKLIN.


communes fut entraînée par l’opinion publique, et l’acte du timbre fut révoqué [1]. Mais les ministres, s’obstinant à juger du peuple d’Amérique par ceux de l’Europe, ne crurent pas qu’il pût s’exposer à des dangers, se condamner à des sacrifices pour déconcerter leur politique. Ils connaissaient l’impossibilité d’établir une taxe dans l’intérieur même du pays ; mais ils croyaient possible d’en faire supporter une, pourvu qu’elle fût levée dans les ports, et ne doutèrent pas qu’on ne finît par acquitter paisiblement, comme droit d’importation en Amérique, ce qu’on payait déjà en Angleterre comme droit d’exportation ; car c’était à cette seule différence qu’ils avaient su réduire la modestie perfide de leurs prétentions. On ne conserva donc du premier projet qu’un droit léger sur le thé porté en Amérique [2].

Les Américains n’imaginèrent pas de se soulever

  1. Cet impôt est vicieux en lui-même. Partout il est l’ennemi du commerce et de la liberté des conventions. Mais en Amérique, les mœurs, la dispersion des habitants, le rendaient plus onéreux encore. Les ministres s’étaient trompés même dans le choix de leurs moyens, et, malheureusement pour l’Angleterre, ils s’imaginèrent n’avoir commis que cette erreur.
  2. C’était une double imprudence ; car on avertissait par là les Américains que le privilège exclusif du commerce renfermait des moyens sûrs, quoique indirects, de les assujettir arbitrairement à l’impôt, et on leur rendait odieux ce joug qu’ils portaient encore avec patience. Mais aussi, pour que le peuple anglais pût voir tranquillement les ministres employer la violence contre les colonies, il fallait lier la discussion sur le droit de taxer à l’intérêt de la conservation de ce privilège, que dans ses préjugés mercantiles l’Angleterre regardait comme une des principales sources de sa richesse.