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Page:Condorcet - Œuvres, Didot, 1847, volume 3.djvu/420

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ÉLOGE DE FRANKLIN.


gémissait sous une tyrannie arbitraire, et plus encore sous le joug des mauvaises lois, les âmes n’étaient point asservies, les esprits avaient conservé leur indépendance. La France ne ressemblait pas à ces pays où il n’existe qu’un despote, un trésor et une armée ; il n’était pas indifférent que la guerre fût conforme ou contraire au vœu national, et les Français étaient déjà dignes que leurs ministres suivissent la politique adoptée chez les nations libres, et que, pour ordonner la guerre, ils attendissent qu’elle fût sollicitée par la voix du peuple.

Comme négociateur, Franklin observait beaucoup et agissait peu.

Il laissait les ministres des puissances alliées décider sur la manière d’attaquer l’Angleterre et de secourir l’Amérique, dans la crainte qu’un mauvais succès, imputé à ses conseils ou à ses demandes, ne refroidît leur intérêt. C’était à maintenir en France l’idée de la constance et des ressources des Américains, à soutenir cet enthousiasme qui avait été son ouvrage, qu’il employait tous ses soins ; tandis qu’observant les mouvements de l’opinion publique en Angleterre, il épiait l’instant où la chute du ministère, qui avait voulu la guerre, annoncerait que l’Amérique était libre. Il le vit arriver enfin, et signa d’une main tranquille le salut et la gloire de son pays, comme il en avait contemplé d’un œil ferme les dangers et les revers. Ce calme n’était pas de l’indifférence ; c’était le résultat d’une conviction profonde que l’indépendance américaine pouvait être achetée plus ou moins cher, reconnue quelques