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Page:Condorcet - Œuvres, Didot, 1847, volume 3.djvu/565

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ÉLOGE DE L’HÔPITAL.


voir pas su que ces ordres de garnir les marchés de grains, ces entraves mises à la liberté du commerce intérieur, ces gènes imposées aux laboureurs, tous ces règlements, qu’il étendit même sur la manière de cultiver, sont un véritable impôt qui augmente le prix des denrées, une source de découragement qui en diminue la quantité réelle ; et qu’ainsi tant de soins pour la subsistance du peuple ne pouvaient servir qu’à rendre cette subsistance plus chère et moins assurée [1]. Enfin, ce grand homme n’avait pas senti que chaque article de ces lois était un attentat contre les droits les plus inviolables de l’homme et du citoyen, contre ces mêmes droits pour le maintien desquels il eût été prêt à faire le sacrifice de sa vie, la propriété et la liberté. Pleurons sur la vertu trompée, qui signe d’une main pure l’ordre du malheur public, et tirons une leçon utile des fautes mêmes d’un homme de génie. Comme ce n’était ni par routine, ni par faiblesse, ni par un goût secret pour les abus, qu’il fit tant de lois prohibitives, il y porta la force de son caractère et l’étendue de son esprit ; et c’est par ces lois mêmes qu’il faut apprendre à quels excès pourrait empor-

  1. La dévastation des campagnes, le danger des transports, la crainte de la famine pour des villes exposées sans cesse à des séditions ou à un siège, l’état critique d’un royaume où il y avait plus de brigands que de laboureurs, peuvent encore excuser l’Hôpital. Il crut peut-être que, dans un temps de brigandage, il fallait des lois tyranniques. Il se trompa ; au lieu de protéger le commerce, il acheva de le décourager. Mais se fût-il trompé dans un temps plus tranquille ?